- Writober 2021 -

09 - Tombe/Rêve

Peinture de Rodolphe Le Corre

Une grande inspiration.
Puis une longue expiration.
Je reprends mes esprits peu à peu.
Était-ce réel ?
J'ai eu l'impression d'accomplir quelque chose.
Quelque chose de grand.
Peut-être que je me fourvoie mais, en même temps, j'ai cette impression qui perdure.
Tel un étrange rêve prémonitoire, j'ai eu l'impression que mon souhait le plus cher s'était achevé.

Depuis toujours, j'ai toujours rêvé d'être connu.e
D'être l'élu.e 

Tout comme ces gens qui ont réussi, que j'ai vu réussir, je veux y parvenir à mon tour. Je veux pouvoir accéder à mon rêve le plus fou. Quoi qu'il puisse se passer autour de moi, quoi que je puisse faire pour y parvenir, je veux à tout prix y arriver. Je veux juste être la personne que je souhaite être depuis toujours.

Alors je débute, les yeux embrumés.
Quitte à marcher sur les autres, je prendrai ce qui m'appartient, ce qui me revient de droit.
Je l'ai mérité après  toutes ces années après tout.
Non ?
J'ai travaillé si dur, j'ai fait tout ce que j'ai pu.
Je continue encore de faire tout ce que je peux jusqu'à ce que je puisse enfin vivre mon rêve le plus absolu. 

Pas à pas, je traverse cette rivière, cette mer, cet océan parsemé de pierres.
Je les utilise comme tremplin et saute de pierre en pierre.
Peu importe la longueur du chemin.
Peu importe le nombre de pierres qui coulent sur mon chemin.
Je ne dois pas faillir. 

Plus rien est autour de moi.
Tout se meurt autour de moi.
Mais je continue d'avancer.
Mon rêve est plus important que tout.

Enfin, on me reconnaît.
Après tout ces sacrifices.
Toutes ces épreuves.
Je peux enfin célébrer ma victoire, ma gloire.
Quelle joie.
Quel bonheur. 

Je vis ce moment et j'en profite du mieux que je puisse l'imaginer. Chaque mois, chaque semaine, chaque jour, chaque heure, chaque minute, chaque seconde, j'innove et créé de nouvelles choses.
Je dois garder mon public, ceux qui m'observent.
Je dois leur faire découvrir des choses plus belles encore, plus incroyable encore, plus invraisemblables encore, plus irréelles encore. Je dois capter leur attention et ne jamais la lâcher tout en attirant de nouvelles personnes. Je dois continuer.
Encore. Encore. Encore. ENCORE. 

Je travaille sans cesse.
Je ne dors plus.
Je créé encore et toujours.
Mon rêve est réalité et il est encore plus beau que je ne l'imaginais. 

J'aime cette ambiance.
J'aime ce dur labeur enfin accepté et apprécié.
J'aime monter de toute pièce tout ce que je peux montrer à ceux qui m'aiment. 

Soupirant longuement, je prends une petite pause. Des vacances bien méritées de ce monde que j'affectionne plus que tout. Je suis connu.e et je peux vivre de toutes ces belles choses. Mais je suis épuisé.e. Alors une semaine, même trois jours, suffiront bien avant mon grand retour. 

Pendant mes vacances, je préparerai à tout ceux qui me suivent des choses encore plus grandes, encore plus belles, encore plus sensationnelles. Toujours plus.

Mon retour ne fut pas comme je l'attendais.
La gorge nouée, je découvris ce que je pensais avoir bien caché.
Toutes ces pierres qui ont coulé sur mon passage, toutes ces personnes que j'ai utilisé, abusé, abandonné, tout ces gens-là ont refait surface d'un coup.
Même ceux que je pensais disparus à jamais et cachés pour le restant de ma vie, de ma carrière, de mon rêve.

Ce même rêve prit fin alors que je lui prévoyais plus de grandeur. Quel gâchis. Tout s'est révélé. Ma façon de gagner mon succès ne plaît pas. Malgré mon grand retour annoncé, ma surprise lâchée afin de les dissuader de s'en aller les plus fidèles, tout est déjà fini. Rien ne peut être récupéré. Ces réseaux qui m'ont tant fait de bien pour ma carrière m'ont détruit. 

Maintenant, je suis de retour dans l'ombre.
Retour à la case départ ?
Non.
Plus rien n'est rattrapable.
Ils n'oublient jamais.
Quelqu'un sera toujours là pour rappeler mes agissements.
Tout ce que j'ai construit, tout ce que j'ai créé, tout s'écroule et plus rien n'est possible. 

J'ai perdu mon rêve mais aussi ma vie.
Je suis connu.e maintenant, comme je l'ai souhaité.
Alors, si je sors, je me ferai attaquer, je me ferai surprendre et pendre.
Si je sors, l'humiliation de masse m'attend.
Alors je préfère ne plus vivre.
Ne plus me montrer.
Ne plus exister.

Mon rêve était de me hisser aux sommets jusqu'à la fin mais je termine ma vie au plus bas.
Je voulais avoir la plus belle vie possible, celle que je rêvais mais je finis dans la tombe.