Te remercier.

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Je marche au hasard des rues dans l'espoir d'occuper mon esprit. Il fait nuit, il fait froid et je crois que je suis perdue. Je connais cette ville, j'y suis déjà venue. Pourtant je crois que je ne l'ai jamais vraiment observée. Je ne l'ai jamais vraiment ressentie. Et vous ne me croirez sans doute pas mais je m'y suis quand même sentie chez moi. Parce que chez moi ce n'était pas ici. Chez moi, c'était lui. Ici, ou ailleurs, tout près ou très loin, il était mon refuge, mon abri. Si je n'ai jamais vraiment appris à connaître la ville, j'y ai connu des moments forts. En amour et en douleur. J'y ai été aussi heureuse que malheureuse. Et j'ai vécu certaines expériences que je n'échangerais pour rien au monde.

Au détour d'une rue, j'arrive à un arrêt de tramway devant la gare. Je crois que je ne suis pas loin d'être rentrée. Cet arrêt, je m'en souviens comme si c'était hier. Je revenais du confinement, c'était bientôt l'été et pourtant il pleuvait autant sur mes épaules que mon coeur pleurait. J'ai pris une dernière photo des lumières de la ville, je crois que j'avais besoin d'immortaliser le moment parce qu'en y réfléchissant bien, je savais déjà sans en être consciente qu'à cet instant précis, je disais adieu à la fille que j'étais. Je n'allais plus jamais être la même et j'allais connaître un long passage à vide, solitaire et destructeur. Et ça commencerait au moment où j'allais monter dans le tramway qui arrivait. En arrivant en bas de l'appartement, c'était déjà fini. J'avais déjà plongé.

Je m'assois quelques minutes sur le banc de l'arrêt, grelottante. Je regarde à côté de moi, et j'aperçois mon reflet. Quelque part, c'est symbolique. Je lui souris, à cette image. La fille que j'ai laissée ici à mon dernier départ a bien évoluée. Et celle qu'elle était ne me manque pas. Elle ne manque à personne je crois. Elle est digne d'amour aujourd'hui. Elle mérite le mien, en tout cas.
Mes yeux fixent maintenant plus loin la rue. Comme dans mon souvenir, les lumières nocturnes dansent autour de moi. Mais il ne pleut pas. Je crois que si ce soir je prenais ce tramway, si ce soir je me rendais en bas de mon ancien immeuble, je n'aurais pas le coeur serré. C'était un merveilleux chapitre qu'on a vécu ici, j'en suis consciente désormais. Un livre entier sur l'amour dans tous ses états. Et ce dernier trône fièrement dans ma bibliothèque, il a une place de choix. J'ai vécu de belles années, j'ai essayé de toutes mes forces, j'ai grandi, j'ai appris. J'ai aimé, de bien des façons.
Je me suis rarement sentie aussi apaisée au cours de ma courte existence. Je crois que c'est aussi ça grandir. Et depuis que je me laisse être la femme que je désire être, sans me prendre la tête, sans douter de moi et remettre le monde entier en cause, je me rends compte que toutes sortes d'opportunités s'offrent à moi. Et si pour avancer certains osent cracher sur leur passé et les personnes qui le composent, moi, je tiens seulement à le remercier.

Moi, je tiens seulement à te remercier.

Tout ce que tu as été m'a aidée. Et les décisions que tu as prises pour toi m'ont menées à ce que je suis aujourd'hui. Une jeune femme pétillante, qui ose, qui n'a plus peur de ce que l'on pense d'elle. Qui tente, qui peut se planter peut-être, mais qui n'est plus terrorisée face à cette idée. Qui sait aimer de nouveau sans trembler, qui n'a pas peur d'échouer dans ses relations. Et qui se dit qu'un échec est un apprentissage de plus et donc un pas de plus vers la réussite. Je crois parfois au destin, plus souvent au hasard, et je me dis que peu importe la cause de tout ça, j'ai connu une merveilleuse histoire. Je ne suis pas certaine de ce que je veux pour la suite de la mienne, mais ce dont je suis certaine en revanche, c'est que je souhaite que tu continues de faire partie de ses écrivains, ceux qui laissent une trace indélébile sur mon petit bout de chemin. Et dans mon livre, à coup sûr, ton nom est cité dans les remerciements.

Moi j'ai tant évoluée que j'ai parfois du mal à me reconnaître. Je me suis rencontrée dernièrement, j'ai l'air sympathique, pas trop prise de tête. Je me suis fait une très bonne amie de moi-même. Je pense que si on se croisait au détour de cette même rue, toi aussi tu verrais que mon reflet est différent dans la vitre de l'arrêt de tramway. Je ne sais pas trop ce que t'en penserais, pas que ce soit quelque chose dont je m'inquiète réellement - de ce qu'on peut bien penser de moi je veux dire, du moment que moi j'en pense du bien - mais je pense quand même qu'elle t'impressionnerait un peu cette petite chose toute fragile que j'étais. Parce que bon sang, la petite chenille est devenu un sacré papillon.

Je me lève enfin du banc, horloge face à moi me montre qu'il est 1h passée du matin. On est le 14 octobre et je ne pleure pas. J'ai un sourire tendre sur les lèvres, et une chaleur douce enveloppe mon coeur. J'ai moins froid et, dans la lumière de mes souvenirs heureux, et celle de mes découvertes et nouveaux départs, je rentre me glisser sous ma couette.

Et je m'endors sur cette pensée simple : merci.

Petites penséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant