Chapitre 3 : Enveloppe n°2 (partie b)

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PDV M :

Mendoza gardait la tête entre ses mains. Depuis le moment où il avait fini de lire la lettre d'Isabella. Ce qui se passait était tellement énorme. Il ne savait pas comment le gérer. Il décida de poursuivre sa lecture. Il soupira en vidant la deuxième enveloppe. C'était reparti.

Patalla
Inde
Printemps 1527

Je me sens une nouvelle fois obligée de prendre la plume. J'ai besoin de vider mon cœur. Car oui, j'en possède un quoi qu'on dise.
Cette nuit, Ambrosius m'a chargée d'aller enlever les enfants au village. Enfants dont on avait déjà kidnappé les parents. Qui se trouvaient actuellement au travail forcé dans les sous-sols du palais. J'avais serré les dents mais acquiescé. Je n'ai pas la fibre maternelle pourtant son plan me révoltait. Il allait beaucoup trop loin. Pour un projet puéril. Ces enfants ne lui avaient rien fait. Et ni eux, ni leurs parents ne méritaient le sort qu'Ambrosius leur avait prévu. Et pourtant, bon gré, mal gré, accompagnée par une dizaine de membres de l'Ordre du Sablier et de gardes du radjah, j'y étais allée. Je priais de tout mon cœur pour qu'ils soient partis. Je me fichais bien de la colère d'Ambrosius. Il en faudrait plus pour me détruire, moi, Isabella Laguerra, fille de feu le Docteur Laguerra. Sur le chemin, les soldats du radjah discutaient entre eux. Ils étaient contre ce pour quoi on les avait envoyés. Et je ne pouvais que plébisciter ce qu'ils disaient. Pourtant, je les ai fait taire. Les ordres sont les ordres. Je me déteste. Et je suis lâche. Plutôt que de tenir tête, je la baisse. Ça n'est pas moi. Mais je n'ai pas le choix.

Lorsque nous sommes arrivés tout était calme. Trop calme. Mes sens se sont réveillés. Je sentais le danger. Que quelque chose ne collait pas. Ils ont fouillé consciencieusement chaque maison. Personne. Malgré les lampes allumées qui brûlaient. J'ai coupé court aux recherches. Nous avions une mission certes mais si personne n'était là ça ne relevait plus de notre jugement. Soulagés, les soldats du radjah commençaient à s'éloigner. J'ai dû être un peu plus persuasive avec certains de mes hommes. J'ai entendu du bruit dans mon dos. Eux aussi. Je les ai éloignés. Et je me suis retournée vers la source du bruit. J'ai découvert l'Espagnol contre lequel j'avais tenu un duel. Un enfant accroché à son bras. Lui-même suspendu à une liane. Et j'ai compris. Ils avaient tout manigancé. Le jeune garçon que j'avais poursuivi devait sûrement avoir entendu des propos d'Ambrosius. Pendant quelques secondes nos regards se sont accrochés. Le sien n'était pas suppliant. Mais résigné. Il me croyait cruelle. La colère m'a envahie. C'en était assez. J'en avais marre d'être vue comme cela. Alors je n'ai rien dit. Je me suis contentée de le fixer. Et de lui sourire. Un peu tristement je crois. Et il a compris. J'ai lu la reconnaissance sur son visage. J'ai repris mon masque quotidien à l'instant où j'ai entendu l'un de mes hommes approcher. S'il les voyait, je ne pourrais pas nier l'évidence. Je l'ai interpellé et rappelé à l'ordre. Je me suis retournée une dernière fois. Et nous avons quitté le village.

J'avais choisi de mentir par omission, froidement. J'en porterai les conséquences. Mais au moins, je n'aurai pas le malheur de ces enfants sur la conscience. Je ne l'ai pas fait par sympathie pour l'Espagnol comme il a pu le croire. Je l'ai fait pour moi. Pour avoir moins honte. Et me sentir mieux. J'ai besoin de changer mon image auprès des autres. J'ai besoin de devenir quelqu'un d'autre. J'en ai marre de tenir le rôle de la méchante alors que c'est Ambrosius qui tire les ficelles. Je ne supporte plus l'injustice. A défaut d'avoir le courage de le faire moi-même je m'arrangerai pour que d'autres rendent le monde meilleur.

I.Laguerra

Mendoza poussa un long soupir. Sa personnalité était démesurément instable. Non il était injuste. Elle n'était pas instable. Elle était perdue. Elle avait envie de faire bouger ce monde injuste dans lequel elle vivait. Mais elle ne le faisait pas. Parce qu'elle ne trouvait pas de raison suffisante pour détruire sa routine et devenir la cible n°1 à abattre. Ce qu'il lui avait manqué c'était une raison de se battre contre son destin. Et de briser ses chaînes.
Elle avait eu raison sur un autre point. Il pensait en effet qu'elle n'avait rien dit cette nuit-là pas par gentillesses car il ne la définissait pas comme cela mais par empathie. Et il se rendait compte que finalement ça l'arrangeait bien de ne trouver personne. Et que c'était essentiellement pour ça qu'elle avait gardé le silence.
Décidément il croyait sincèrement la connaître et il prenait soudainement conscience à quel point c'était faux. Certes elle avait dit et fait des choses pour le moins explicites. Mais qui pouvait jurer qu'elle n'en pensait pas l'inverse ? Qui pouvait dire quand elle jouait un rôle et quand elle était sincère ? Les sempiternelles mêmes questions. Encore et encore. Il espérait davantage à chaque lecture qu'il ferait la lumière sur cette femme et arriverait enfin à la cerner. Avec certitude.

A la lumière de tes motsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant