Chapitre 4 : Enveloppe n°3 (partie b)

168 17 2
                                    

PDV  M :

Patalla
Inde
Printemps 1527

J'ai à nouveau eu l'honneur d'engager un duel avec l'Espagnol tout à l'heure. Mendoza. Ce nom m'est maintenant diablement familier. Il faut que je me reprenne. Lui et son équipe ont tenté le diable...Et ils ont réussi. Leur courage est déroutant. Ils ne craignent rien ni personne. Comment craindre un énergumène du genre d'Ambrosius en même temps ? Il représente tout ce qu'il y a de plus détestable ! Calme toi Isabella. Rappelle toi : ne jamais rien laisser paraître. Oui, père. Mais je m'égare.
Ils étaient une dizaine. Seulement. Ils ont réussi à libérer les adultes esclaves. Le radjah est revenu à lui après des mois de drogues d'Ambrosius et a repris, de ce fait, la direction de son royaume et de ses hommes. Mais il nous restait un atout qu'Ambrosius voulait préserver absolument : Athanaos. Le troisième mousquetaire du groupe auquel appartenaient mon père et Ambrosius. Un homme malade et affaibli. Mais qui tenait bon par la simple pensée de retrouver son fils. Il a compris que j'étais la fille de son défunt ami le Docteur. Et a eu à mon égard des mots que je n'oublierai pas tant ils m'ont frappés en plein cœur. « Comment en es-tu arrivée là, Isabella ? », « Que fais-tu des valeurs de ton père ? », « Comment supportes-tu d'être dénigrée à ce point par un individu qui ne possède pas le quart de ton talent et de ton intelligence ? ». J'ai fait semblant. Même à lui, j'ai choisi de mentir. Mais ses mots n'ont fait que renforcer la honte qui me brûle davantage chaque jour, d'être l'associée malgré moi d'Ambrosius.
Alors quand je suis arrivée devant la pièce où il était retenu, j'ai eu la semi-surprise de faire face au jeune Tao et à Mendoza. J'avais quelque peu attendu ce duel. Pour me voir dans ma meilleure version dans les yeux de cet homme. Pour croire encore au rêve que quelqu'un dans ce monde me verrait différemment. Ses traits étaient de marbre. Je l'ai piqué, comme on me l'a toujours si bien appris. Un homme a sa fierté et il est très facile de la provoquer. Sans changer d'expression, il a murmuré quelque chose à Tao et j'ai engagé. Je ne sais pas vraiment pourquoi mais je me suis transcendée. Je voulais avoir son attention. A tout prix. Je voulais y croire. Tellement fort. Je voulais qu'il voit en moi la vraie femme que j'étais. Alors j'ai attaqué. Encore et encore. J'ai été agressive verbalement pour voir la flamme s'allumer dans ses yeux. Mais rien. Pourquoi faisais-je ça après tout ? Je voulais aussi lui montrer que j'étais la meilleure. Au moins autant que lui. Je voulais être son égale. Au moins en duel. Pour le reste, ma route était encore longue pour parvenir à sa hauteur. Puis il y'a eu cette acrobatie. Le temps s'est arrêté. Les yeux dans les yeux. Et la flamme s'est allumée. Enfin. Je ne sentais plus la fatigue désormais. Puis le duel a repris son cours.
Et il a failli avoir ma peau. Ambrosius a hurlé mon nom dans tout le fort. Le ton de sa voix m'a déconcentrée. J'ai relâché mon attention une demie seconde. Mais il a saisi la seule occasion que je lui avais laissé le début de ce duel. J'ai été obligée de lâcher mon arme. Elle est allée se planter à l'autre bout du couloir dans la porte. Derrière Mendoza. Inatteignable.  Alors j'ai sorti mon fouet. On a fait mieux comme bouclier. Mais ça le tiendrait éloigné quelques temps. Et puis il a eu cette phrase qui a tout balayé en moi : « votre maître vous appelle ». Et pour la première fois depuis longtemps, j'ai perdu le contrôle de moi-même et mon cœur a parlé. La stupeur a figé son visage. Et je me suis brisée quand j'ai compris que désormais je lui faisais peur. Et que plus jamais je n'aurais la chance d'être vue autrement. Il représentait pour moi un espoir de résurrection. Espoir qui était en train de brûler. Tout comme le palais du radjah. J'ai profité de ces fractions de seconde de choc pour récupérer mon épée. Et attaquer. Je n'avais qu'une envie à cet instant : m'effondrer. Alors je me suis battue pour oublier la douleur.
Son visage s'est retrouvé à quelques centimètres du mien. Il a planté ses yeux dans les miens. On aurait dit qu'il cherchait à me lire comme on lirait un livre. Il aurait presque pu entendre les battements de mon cœur s'il avait voulu. Son visage ne se détendait pas. L'espoir était parti en fumée et définitivement.
Les gardes du radjah sont arrivés dans mon dos. Pour m'arrêter. Ambrosius était en fuite. Chacun pour soi manifestement. J'étais coincée. Et puis un sursaut : « Filez ». Mendoza m'a offert une porte de sortie. Il remboursait sa dette envers moi. Du soir où nous devions enlever les enfants. Je n'ai pas réfléchi davantage. Un sentiment nouveau brûlait dans mon cœur. Pas de la colère ou de la haine. Je commençais à m'attacher. Pour le meilleur et pour le pire.

I.Laguerra

Mendoza repoussa sa chaise brutalement. Et souffla pour calmer sa respiration et son cœur. Il ressentait les émotions d'Isabella. Avec brutalité et violence. Comme ça avait pu être le cas pour elle en ces instants où elle rédigeait ces mots. Il avait cru si longtemps qu'il lui était indifférent. Alors que véritablement, tout avait commencé à peu près au même moment. En lisant cette lettre, ce qu'il retenait c'était l'urgence avec laquelle elle souhaitait s'émanciper de son rôle. Elle l'avait pris aux tripes. Malgré les années, elle continuait d'avoir l'emprise sur ses sentiments. Mais comment rester indifférent à ses mots ? Jamais il n'aurait cru que la lecture puisse le remuer à ce point. Il redoutait la suite. Parce que si en ces instants où elle lui avait semblé froide, elle ressentait les choses à cette intensité, qu'en était-il des moments où ils avaient parlé avec le cœur sans se cacher ? Plus ce stupide jeu avançait plus Mendoza redoutait ses conséquences à court et long termes.

A la lumière de tes motsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant