Chapitre 1

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Octobre 2018, France

Une enterrement sous une pluie torrentielle, peut-on faire plus cliché ? Tante Léanne rirait bien, elle qui voulait une grande fête pour célébrer son départ, des couleurs, du soleil et de quoi se sustenter.

Évidemment, les enterrements ne sont pas pour les morts mais pour les vivants et en France, il semblerait qu'on ne sache faire son deuil qu'en exprimant sa tristesse. Moi, la première. Quoi de mieux donc qu'un temps pluvieux pour camoufler nos propres larmes.

D'autant plus que le ciel a bien raison de pleurer le départ de Tante Léanne. Elle était le soleil de son village et on peut le remarquer au nombre de gens qui assistent à ses funérailles, une marée noire et ça, depuis l'église. Toujours positive, généreuse, à l'écoute et disponible. Elle a aidé au moins une fois, chacun des habitants de son village.

Si on recherchait la définition imagée d'un ange, on la prendrait comme exemple ; surtout qu'elle était blonde aux yeux bleus avec des traits chérubins.

Le problème c'est que si elle avait été un ange et que Dieu régnait bien en maître sur nous, pourquoi sacrifier une aussi belle personne aussi prématurément ?

À l'église, on a eu droit au discours de propagande, après tout, il faut bien que le prêtre remplisse sa paroisse. Il nous a bien expliqué que ce n'était pas de la faute de Dieu, qu'il ne fallait pas le blâmer pour le départ anticipé de Tante Léanne, qu'il ne s'agissait que du sort. Et qu'il fallait faire preuve de foi dans cette épreuve difficile pour que son âme soit guidée au Paradis. Oui mais qui contrôle ce fameux sort, ce destin ? Pas Dieu ? Alors qui, quoi ?

C'est tellement injuste.

Je me suis toujours considérée agnostique mais pendant le discours du prêtre, je crois que j'ai tourné athée. Et athée bien assise dans mes convictions. Pourquoi fait-il un discours sur son idole quand la mienne gît dans son cercueil, totalement oubliée par le serviteur de Dieu ?

S'il y avait un Dieu rempli d'amour quelque part, alors il aurait dû la sauver, entendre nos prières, notre désespoir de la voir à nouveau sur ses deux jambes.

Au lieu de quoi, il lui a mis les deux pieds dans la tombe. Comment pourrais-je avoir foi quand une personne aussi innocente et pieuse n'a pas pu être sauvée par un être défini par son amour ?

Je n'ai aucune foi en cet être soi-disant tout puissant, omnipotent et aimant. J'ai foi en une balance : le bien, le mal ; la tristesse, la joie ; la vie, la mort...

Selon moi, s'il y avait un être qui nous gouvernait sans que nous le sachions, il s'agirait de quelque chose d'aussi imparfait que nous, quelque chose d'humain ; qui serait à la fois cruel et bon, qui ne rechercherait pas la prospérité mais l'équilibre.

Ce serait le seul moyen d'expliquer pourquoi Tante Léanne, après avoir survécu à une leucémie, nous a quitté prématurément d'un cancer généralisé. Un cancer que nous n'avons pas pu voir se développer. C'était il y a deux semaines qu'elle était admise à l'hôpital afin d'effectuer des examens à cause d'un mal de ventre poignant.

Un mal de ventre. Un cancer du pancréas se généralisant à la vitesse du son. Un mal de ventre.

J'ai essayé de garder espoir, de me dire qu'elle pourrait surmonter ça. Après tout, c'était une battante : pour toute sa bonté, la vie ne lui a pas été favorable. Mariée à un escroc, croulant sous les dettes, développant une leucémie et j'en passe. Pourtant, elle, elle n'a jamais perdu espoir, perdu sa foi.

Tante Léanne, soldate de la vie, soleil de nos nuits, repose désormais là où les rayons de la lune ne pourront plus jamais la toucher.

Je n'entendrai plus son rire, plus le son mélodique de sa voix angélique, je ne la verrai plus s'affairer en cuisine, planter ses graines si ardemment cultivées... Je ne profiterai plus de ses conseils avisés, de sa sagesse et son calme revigorant.

J'aurais dû ressentir de la tristesse en voyant disparaître la dernière trace charnelle de Tante Léanne. Mais au lieu de ça, je ressens de la colère, une profonde injustice. Si elle, une personne fondamentalement bonne a pu être trahie par la vie, qu'en sera-t-il des êtres imparfaits ? Des êtres comme moi.

Je n'ai jamais eu à faire de deuil, il s'agit de mon premier décès et à dix-huit ans, on peut dire que j'avais été épargnée jusqu'à présent mais de savoir que c'est son propre corps qui l'a tué... C'est insupportable.

Sûrement que chaque mort est considérée comme injuste par les membres de la famille du défunt mais que ses cellules se soient retournées contre elle ? Ça me donne envie de confronter ce Dieu en qui il faudrait croire. Ça me donne envie de crier sur les toits qu'il faut profiter de notre existence dans cette vie puisqu'on ne sait pas ce qui arrivera après. Le néant ? Une nouvelle vie dans ce monde ? Une nouvelle vie dans un autre monde ? Un jugement sur notre vie de mortels ?

Dans le doute, autant ne pas se priver. Tante Léanne aurait dû voyager comme elle le souhaitait, aurait dû acquérir sa propre ferme, aurait dû se mettre aux échecs comme elle en rêvait. Elle aurait dû s'écouter avant de vivre pour les autres et son Dieu.

Les gens du village se dispersent alors qu'on recouvre le cercueil de Tante Léanne. Papa tient Maman pour l'amener à sa voiture pendant que je reste plantée là. Perdue dans mes pensées et mes réflexions. Je n'ai pas encore pleuré mais une fois que le barrage lâchera, je pourrai rivaliser avec les crues du Nil.

Au revoir, Tante Léanne.

La Cité des Astres - Tome 1 - D'un Monde à l'AutreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant