Prologue

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 Du chagrin. Son cœur hurle à la mort alors qu'il contemple les ruines de son village ; quelques chaumières sont encore debout malgré le carnage survenu quelques mois plus tôt. Elles ont résisté à la fureur de nos ennemis, aux flammes qu'ils ont conjurées, à la dévastation qu'ils ont répandue. Les souvenirs de ce raid meurtrier le hantent encore.

Quelques mois qui l'ont changé à tout jamais. Quelques mois qui ont déséquilibré sa vie. Une vie dont il avait pourtant tout anticipé et qui a été balayée par ces barbares. L'écho de sa vie utopique résonne dans son cœur dont les battements écrasent un peu plus son espoir ; son espoir de reconstruction.

Elyo aurait dû se douter que le destin lui jouerait des tours : après tout, son monde est une arène dans laquelle chaque être-vivant se bat pour une chance de survie. Et la seule raison pour laquelle il serait resté debout, sanglant et battu par les épreuves d'une cruelle vie s'est envolée, là où il ne pourra aller que lorsque son voyage s'achèvera.

Dans son enthousiasme, son amour, Elyo s'est laissé aveugler par l'attrait d'une vie simple et heureuse. Il s'est voilé la face de la plus terrible des façons. Il a cru que le bonheur avait le goût de l'éternité, que la vie était devenue sans danger, que le lait et le miel abonderaient sans qu'il soit besoin d'en défendre la source.

Il ne peut pas s'empêcher d'éprouver de la culpabilité, au souvenir de tant de naïveté. Après tout, il aurait pu être mieux préparé, plus entraîné. Il aurait pu défendre son village mais il a préféré s'immerger dans la béatitude, au mépris de toute prévoyance, de toute lucidité.

Elyo se tient en face de l'école, l'une des seules constructions épargnée par l'attaque de ses ennemis. Quelle ironie. Son visage forme un grimace de dégoût, mêlé à son désespoir, à cette pensée.

La végétation sauvage a déjà repris ses droits, tentant d'effacer toute trace de civilisation. Les hautes herbes ainsi que d'épaisses fougères recouvrent la cour intérieure dans laquelle, autrefois, s'égayaient les enfants du village.

Derrière l'école se trouve les débris des jouets utilisés par les innocents. Aujourd'hui, ils ne sont que de vulgaires bouts de bois que rongent par les insectes et l'humidité. Bientôt, toute trace de vie aura disparu.

Aussi facilement que son peuple.

Les anciennes cases sont recouvertes de verdure. L'herbe a poussé sur les toits, des lianes se sont développées sur les fenêtres et cheminées. Les ronces encerclent les jardins. Les palmiers et autres plantes tropicales ont recouvert les chemins et les champs autrefois cultivés.

Bientôt, ces murs seront habités par des êtres bien plus répugnants et terrifiants que de simples humains. Ils seront pris d'assaut par les plus viles créatures et il sera impossible d'approcher les ruines de son village. Bientôt, il n'en restera plus rien et cela, en partie à cause de lui ; de son inutilité.

Plus jamais, Elyo se promet.

Les Arkans, la seule pensée de ce nom contracte les poings d'Elyo à en faire blanchir ses articulations. Se remémorant le précieux objet qu'il tient dans sa main, le jeune homme relâche la pression. Le petit anneau de liane lui brûle la paume autant que ses larmes lui brûlent les yeux. Il s'est promis de la venger et a juré que ses sanglots ne seraient réservés que pour elle et son corps calciné.

Une vague de désespoir submerge Elyo et la boule dans sa gorge est terriblement difficile à résorber.

Une longue chevelure rousse apparaît devant ses yeux, conjurée par ses souvenirs. Un rire angélique caresse sa peau et l'ombre d'un baiser doux comme une plume se dépose sur ses lèvres.

Ses yeux se ferment pour apprécier ce cadeau des Dieux, pour se plonger une dernière fois dans la mélancolie.

Il se ressaisit. Tant que sa vengeance n'est pas assouvie, il ne peut pas se permettre de s'appesantir sur son sort.

Il secoue la tête pour se rappeler que leurs âmes se reconnecteront lors de leur prochaine réincarnation.

Les Varlas, son peuple, pense que chaque âme se lie à une autre lors de sa création. Elles se chassent et se pourchassent dans les cieux jusqu'à trouver deux corps à habiter. Si elles se réincarnent trop loin l'une de l'autre, elles s'appellent jusqu'à être réunies. C'est la raison pour laquelle il est commun que les membres de son village quittent leur nid pour trouver l'âme qui les complétera. Certaines personnes reviennent, d'autres se perdent à tout jamais.

Elyo n'a pas eu à faire ce choix. Il est sûr que son âme-liée était à portée de main, de cœur. Tout le village imaginait déjà leur mariage. Après tout, ils s'étaient proclamés leur amour intarissable et inconditionnel. Ils avaient consumé leur lien et s'étaient promis l'éternité.

C'était sans compter sur les Arkans et leur barbarie.

Elyo n'avait jamais ressenti de haine avant sa rencontre avec les Arkans. Il avait tendance à être optimiste voire naïf. Il ne laissera plus jamais cette faiblesse prendre le dessus sur lui. Il a vu le monde dans lequel il vit pour la première fois il y a quelques mois.

Il a expérimenté la cruauté de ses semblables, la faim des créatures qui rodent dans son monde. Il a vécu la faim, la soif, la peur... Il a connu l'angoisse et la désolation. Il a goûté à la détresse.

En quelques mois, sa vie a radicalement changé. Il est passé de simple cultivateur heureux et amoureux aux ténèbres qui traquent et tuent sans pitié.

Avant l'attaque des Arkans, Elyo n'avait jamais pris une vie humaine. Ce nombre a décollé de façon exponentielle.

Il sait qu'elle aurait été terrifiée de le voir désormais. L'obscurité qui marque ses traits, ses yeux vides d'émotion, son stoïcisme face à la mort.

Mais il fait tout ça pour elle. Pour la venger, pour lui rendre son honneur et d'une certaine manière, la vie.

Il aurait aimé pouvoir agir sans attendre après avoir découvert la vérité sur le sort de son âme-liée. Il aurait aimé prendre la vie de ses malfaiteurs, ses assassins.

Malgré toute sa rage, Elyo n'était pas un guerrier, il n'était pas un tueur et il était seul face à tout un village.

Alors, depuis sa terrible découverte, il s'entraîne à devenir le plus diabolique d'entre eux et continuera jusqu'à atteindre un niveau de puissance avec lequel ses plus grands ennemis ne pourront jamais rivaliser. Il corrompra, volera, tuera de sang froid ; il a déjà commencé. Il n'aura aucune limite, il se l'est promis.

Même avant ces événements tragiques, Elyo a toujours été un homme d'honneur. Lorsqu'il murmure une promesse, il la tient, jusque dans la mort.

Elyo contemple une dernière fois son ancienne école dans laquelle il l'a rencontré. Il inhale une dernière fois son parfum même s'il n'est qu'une réminiscence du passé.

Il glisse la petite bague de liane autour de son cou. Elle sent encore le brûlé et ce souvenir lui arrache un grognement et renforçant sa détermination.

Il se remémore sa promesse. Elle vivra à travers lui, personne ne pourra l'oublier. Personne de pourra oublier une personne aussi pure qu'elle.

Lorsqu'il se sera emparé du pouvoir, lorsqu'il aura renversé l'équilibre du continent comme le sien a été saccagé, il bâtira des monuments en son nom. Il criera sur tous les toits qu'elle était sienne et que personne ne pose la main sur ses possessions.

Il se promet qu'aucune autre âme innocente ne connaîtra le même sort.

Ils payeront. Ils payeront tous, quoiqu'il en coûte.

La Cité des Astres - Tome 1 - D'un Monde à l'AutreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant