Chapitre 1

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Quelques heures avant la déflagration.

« Kjil Moyo'ksu Santk y'uo » J'ouvris les yeux en une fraction de secondes, mes doigts crispés tenant fermement les draps en satin sur lesquels j'étais allongée. Je parcourus furtivement la pièce. Un cauchemar. Encore. Et toujours ces mots sans aucun sens qui résonnaient à mon réveil. La fièvre sans doute. Ou le nuage épais qui sépare les rêves de ce monde. Des gouttes de sueur perlaient sur mon front, mes cheveux collaient à mon dos. En m'asseyant sur le bord de mon lit je sentis mes muscles tétanisés. Un râle de douleur sortit de ma gorge tel le cri d'un animal. Ma nuque me faisait mal, j'avais la sensation qu'on me tenait fermement le cou, comme un pression qu'on ne relâchait pas, une main invisible mais puissante. Il me fallait toujours quelques minutes afin que je retrouve mes esprits lorsque ces cauchemars refaisaient surface. Récurrents. Effrayants. Douloureux.

Le soleil n'était pas encore levé. Je n'avais aucune idée de l'heure qu'il pouvait être, cependant il était hors de question que je poursuive ma nuit de sommeil. Aussi courte soit-elle, il m'était impossible de replonger dans les méandres de mon esprit dérangé. En effet, quel esprit était capable d'imaginer tant de cruauté et de terreur? Bien que ce ne soit qu'un cauchemar, il sortait bel et bien de mon imagination, la fièvre ne faisant que l'attiser davantage.

Le feu crépitait dans l'âtre de la cheminée. Mon corps gelé réclamait silencieusement la chaleur qui s'en émanait. Je décidai de me lever prudemment. Mes jambes chancelantes supportaient difficilement le poids de mon corps. Les quelques pas séparant mon lit de la chaleur promise me firent l'effet d'un ultime supplice. Je me laissai tomber, sans aucune grâce, arrivée devant le feu. Je crois que si mes muscles avaient pu se casser, je me serais fracassée au sol, brisée en mille morceaux. Je me sentis tremblante d'avoir fourni autant d'efforts. J'étais faible. Plus faible que je ne l'avais jamais été. Je savais que cet état n'était que passager. Malgré tout, la boule que je sentais se former au creux de mon ventre hurlait « Et si cette fois... ». Je repoussai cette pensée envahissante.

Je connaissais bien ces crises. Elles m'assaillaient depuis ma plus tendre enfance. Sans aucune explication rationnelle. Médecins, hommes d'église, sorciers, tous s'étaient penchés sur mon cas, sans trouver la moindre réponse. On m'avait fourni un tas de traitements. On avait prié pour moi. On avait invoqué le pouvoir des saints guérisseurs. Sans résultat.

Fille du général Polkóvnik Vassili Saltykov, je me devais d'être à la hauteur de la figure paternelle, à la hauteur de mon rang, pour ne pas ternir le nom des Saltykov. Mon état de santé avait donc été bien gardé, sous peine de graves sanctions à la moindre divulgation. Le personnel de la maison avait été trillé sur le volet. Ma particularité avait déjà suscité assez de polémiques. L'influence de mon père avait cependant permis d'étouffer les rumeurs. Il avait même réussi à en tirer profit, se ventant d'avoir transmis un don à sa progéniture, une marque de sa lignée bénie par les dieux. Personne ne se permettait de remettre en cause la parole du célèbre général Polkóvnik de Nürbergote. Malgré tout, ma naissance, la naissance de sa fille, ne lui avait pas apporté la descendance qu'il espérait. Il n'avait pas de fils. Pas de successeur pour préserver la lignée des Saltykov. Je le connaissais peu. Un père absent. Un père dévoué à sa nation plus qu'à sa famille. Un père Kjil par excellence !

La chaleur du feu de cheminée m'avait enveloppée dans un écrin doux et réconfortant. Mes cheveux renvoyant aux flammes, presque jalouses, mes reflets auburns et ma pierre brillant d'un éclat perpétuel.

« Mon corps retrouve de sa vigueur » me dit-je. Les frissons avaient disparu, mes muscles s'étaient détendus. «La crise est passée, jusqu'à la prochaine » pensais-je néanmoins .

Le livre de KjilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant