Ignorant la gravité qui nous entourait, elles se tenaient de toute part, inondant le couloir de leurs présences. Etendue sur le sol, terrifiée, je ne voyais aucune issue. Comment étaient-elles arrivées là ? Etait-ce moi qui les avais appelées ? Les rangées de crocs qui s'offraient à moi me retournèrent l'estomac. Je me demandai ce que j'éprouverais si l'une d'eux refermait ses larges mâchoires sur ma gorge et quel spectacle offrirait ma dépouille, si jamais il en restait quelque chose. Je ne me résignais pas à mourir sans défendre ma vie, abandonnant par la même occasion les miens à un triste sort. Mais que pouvais-je tenter ?
Les langues dégoulinantes des créatures léchaient les murs, les plafonds, le sol, à la recherche de ma présence. Leurs points faibles, si elles en possédaient n'en serait-ce qu'un, étaient sans doute leur manque de visibilité et peut-être leur manque de rapidité. Je ne les avaient pas vues se déplacer. Elles étaient apparues soudainement, mais aucunes d'elles n'avaient dénié bouger depuis. En ce qui concernait leurs points forts, leurs mâchoires acérées en étaient un sans nul doute. L'effroi que provoquait leur simple présence en était un autre. « Elles ne peuvent ni me voire, ni m'entendre. » pensais-je. « Le tout est de ne pas se laisser ... » Il était trop tard. Je sentis sa chaleur gluante, le contact de sa langue sur ma peau. Un rugissement tout droit sorti des ténèbres résonna, faisant trembler le sol sous mon corps. Tous se précipitèrent dans ma direction sans que je ne puisse réagir à temps. Leur long corps informe n'entravait en rien leur rapidité finalement. Je sentis la bave gluante et chaude de la créature coulée le long de mon bras. J'attendais la morsure de la bête, fermant les yeux plus fort encore, contractant tout mon corps comme pour me préparer à l'attaque, pour prévenir de la douleur.
Lorsque je l'entendis mon coeur se serra davantage dans ma poitrine. « Elina ! » J'ouvris les yeux. Hormis les créatures qui se détachaient de l'épaisse nappe noire qui nous entourait, je ne la distinguais pas. Pourtant elle était là. Tout prêt. C'était-elle. Sa voix. La douleur me submergeait. La lourde et puissante mâchoire de la créature venait de s'abattre sur mon bras, m'extirpant un cri presque inhumain. Ses dents tranchantes, avaient entaillé ma chair jusqu'à l'os. Je sentis mon sang se mêler à l'écume qui inondait sa gueule. Subitement, je perdis le contrôle de mon corps. La morsure de la bête contenait-elle un poison ? Mon état de conscience reculait. Je tentais de lutter, en vain. La douleur me frappa de nouveau dans un craquement d'os, la créature avait resserré son emprise sur mon bras, le brisant sans difficulté. « Kjil Moyo'ksu Santk y'uo » Ces mots résonnaient dans mes oreilles sans que je ne réussisse à déterminer d'où ils provenaient, comme s'ils étaient nés dans ma tête. C'était insupportable, assourdissant.
Ma tête se projeta en arrière subitement. Mon corps se souleva du sol aspirer par une force inconnue. Mes bras se raidirent, formant une croix. Même si je ne contrôlais plus mon corps à cet instant, j'avais conscience de ce qui se passait autour de moi, et la douleur qui irradiait mon bras était insoutenable. Je sentis mon sang dégouliner dans la gueule de la créature qui n'avait pas relâcher sa prise. Mon bras formait un angle improbable. Je flottai à présent dans les airs lorsqu'une vague de chaleur m'envahit. Je sentis le feu se répandre en moi, ondulant le long de mes jambes, s'engouffrant à l'intérieur de mes entrailles, longeant ma colonne vertébrale, s'accumulant dans mon crâne.
« Kjil Moyo'ksu Santk y'uo »
Dans une convulsion incontrôlée, je sentis ma peau se craqueler. J'avais l'impression qu'on m'ouvrait en deux, comme écartelée. Je poussai un cri animal, sentant mes muscles se déchirer, mes os se rompre.
Soudain un éclair jaillit de l'ombre. J'entendis les cris désespérés des créatures tout autour de moi. J'avais la sensation d'avoir été jetée dans la lave d'un volcan en pleine éruption, ma pierre me faisait l'effet d'un charbon ardent tout contre ma peau. Mon corps n'était plus que souffrance. Je me consumais de l'intérieur, mon corps tout entier s'embrasait. Une seconde convulsion. La lumière. Le feu. Tout, autour de moi ne semblait plus que chaos. Je retombai au sol violemment, sentant la mâchoire de l'animal faiblir, relâchant mon bras disloqué; des cris sourds, le bruit du métal fendant la chair. Je voulus mourir à cet instant, tellement la souffrance était insoutenable, accablante. « Reste avec moi...Fini.. rien...avec moi » Ces mots me parvinrent entrecoupés. Mes hurlements recouvrirent sa voix. Les yeux clos, fermés sous la douleur de mes blessures, je tentai malgré tout les entrouvrir. Son visage penché sur moi me parvint dans le filtre de mes larmes et de mon sang. Son portrait était brouillé, souillé par ma douleur. Un autre visage s'affichait au-dessus de moi. Fiodor. Mais comment ? J'étais incapable de faire quoi que ce soit, ni réfléchir, ni agir. Je sentis un liquide couler le long de ma gorge, froid et métallique. Puis soudain, le néant, je plongeai dans un coma profond.
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Le livre de Kjil
FantasyElle est la clef. Et si son monde n'était qu'une illusion jusqu'a maintenant ? Sera t-elle capable d'aller au délà de ses certitudes ?