Chapitre 8

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Les survivants de l'attaque restèrent au château. De Nübergote il ne restait qu'un amas de pierres et de bois, et nos souvenirs de ce qu'il avait été: un petit village chaleureux et plein de vie. Les révélations concernant les créatures nous avaient ébranlés. Nous ne savions ni qu'en penser, ni comment réagir. Les questions nous assaillaient pourtant en silence. Une retenait, malgré moi, toute mon attention : les créatures étaient-elles une arme contre notre peuple ?

Ce sont les femmes, des veuves pour la plupart, plus ou moins âgées, qui prirent l'initiative de rendre hommage aux disparus et d'enterrer les corps de ceux qu'elles avaient perdus. Les tâches étaient ingrates, le froid de l'hiver les rendant plus difficiles encore, et demandaient une force qu'elles avaient peine à trouver. Toutes se soutenaient dans cette dure épreuve. Je pris part, de ma propre initiative, à l'extraction des corps, aux creusements des tombes et à la réouverture de la route principale, au côté de ces femmes et des quelques hommes qui avaient miraculeusement survécus, sous les yeux médusés de Jürgen Ovchinnikov, qui lui, s'abstint de tout effort, préférant s'isoler au château.

Des hommes, il ne restait que Fiodor, deux ou trois domestiques et le commandant. En tout et pour tout, nous ne devions être qu'une petite cinquantaine en comptant les enfants. N'ayant nulle part où aller, j'avais ouvert les portes du château à tous, de bonne grâce. Nous y étions à l'abri, et réunis. La maison était de ce fait plus animée qu'à l'accoutumé. Cependant, j'aurais préféré que cette animation soit le fruit d'un évènement heureux et non des conséquences d'une catastrophe. J'appréciais tout de même entendre au détour d'un couloir, les rires des enfants redonner vie à nos existences. Maïa n'était plus seule désormais. Elle s'était rapidement rétablie, trouvant la force et le réconfort dans les bras aimants des femmes qui s'étaient réfugiées au château. Je nourrissais une certaine jalousie, à la vue de ces mères dont les gestes et les attitudes semblaient si naturels, moi qui n'avais jamais eu de véritable modèle maternel. Je réprimais ce sentiment, honteuse.

Les blessures que m'avait infligée les Razdvoyennyye Yazyki n'étaient pas négligeables. C'est Fiodor qui s'était occupé de ma convalescence. Comme j'ignorais tout de lui, chacun de nos échanges me permettait d'en découvrir davantage sur sa personne. Les deux premiers jours, les remèdes qu'il me fit ingérer me plongèrent dans un sommeil profond. Au matin du troisième jour, alors que mon état s'était nettement amélioré, j'avais entrepris de lui poser les questions qui me torturaient l'esprit.

- Fiodor... puis-je vous demandé comment vous êtes entré en possession de ce... livre ?

Il me dévisagea un instant avant de me répondre.

- Vous l'avez ouvert ?

- Bien sûr, dis-je aussi rapidement que mon état me le permettait, et j'ai été surprise de ne rien y trouver. Seulement après ...

Il se stoppa, tenant mes bandages dans ses mains gigantesques.

- Vous connaissez la légende de Kjil ?

Qui ignorait la légende de Kjil ? Elle était le fondement de notre royaume, la naissance même de notre peuple. La légende de Kjil était comptée, chantée et gravée partout au sein des villes et villages du royaume. Je ne voyais aucune corrélation entre Kjil et mon livre. Fiodor évitait très certainement d'aborder le sujet.

- C'est une habitude de répondre aux questions par des questions ?

Sans me répondre, il afficha un sourire satisfait. Il termina de remplacer mes bandages précautionneusement. Ses larges mains étaient étonnement pourvues d'une infinie délicatesse. Lorsqu'il quitta la pièce, je retombai dans la spirale infernale qui tiraillait mon esprit, depuis la première apparition de la vague noire, la tête emplie de questions nouvelles. Y avait-il un lien entre mon livre et la légende de Kjil ? Existait-il une quelconque relation entre mon livre et l'apparition des créatures ? Etais-je... la source de tous les malheurs qui s'étaient abattus sur Nübergote ? Cette dernière question me terrifiait. Je sombrai dans un sommeil tourmenté, la légende de Kjil en pensée.

Le livre de KjilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant