Prologue

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Je me réveille en sursaut et plus perdue que jamais. Mes rêves, CES rêves, se matérialisent à nouveau à moi. Enfant, j’avais fini par m’habituer à des sortes de flashbacks d’une vie m’étant inconnue, mais où je savais qu’il s’agissait de moi.
Chaque matin, je racontais avec enthousiasme à grand-mère que j’avais parcouru des bois entourée de loups. Elle me demandait s’ils me poursuivaient et je lui répondais qu’ils me protégeaient, qu’ils étaient mes frères. Et je lui cachais sciemment que l’un d’eux faisait battre mon cœur puissance mille.
À la seule idée de devoir y faire référence, je rougissais inexorablement. J’ignore ce qu’elle pensait en s’apercevant sûrement de ma gêne, mais elle ne la relevait jamais. Elle ne m’imposait pas un embarras supplémentaire en plus de mes histoires loufoques et se contentait de m’adresser son sourire si bienveillant et aimant. Nous continuions à papoter école, chaussures et copines et je lui en étais reconnaissante. 
Les années passaient et mes rêves s’estompaient. Je me disais que je laissais tout simplement mon âme d’enfant un peu plus derrière moi, dans ce charmant et doux sillage fait de magie et d’émerveillement, avec ces choses imaginaires qui m’avaient toujours suivies.
Néanmoins, je gardais le secret espoir de connaître une nuit, durant mon sommeil, la réelle identité de ce loup que je savais être un garçon. C’était inexplicable et avait l’air totalement incohérent tout comme inconcevable, mais j’étais certaine de me pas me tromper. Le sort a fait que ce vœu ne s’est jamais concrétisé, et j’ai fini par me faire à cette idée, bien que j’espérais un jour ressentir pour un jeune homme cet élan d’émotions indescriptibles.
Et ce matin, je ressors essoufflée et interdite d’un des rêves qui m’a accompagné chaque nuit durant mon enfance. Un feu, des visages flous baignés de la luminescence des flammes, mais que je sais ne pas m’être étrangers, une voix contant ce qui semblait être une histoire captivante, des chants, des plumes, et le regard luisant de ce loup posé sur moi. Fixe et sondeur.
Il est revenu. Il s’est à nouveau invité parmi mes songes, et pour être parfaitement honnête, j’en suis autant retournée que ravie, me languissant la nuit prochaine pour être sûre de tenter de l’apercevoir sous l’apparence de son visage d’homme, bien que courir avec lui sous forme de loup m’a toujours enchanté au plus haut point. Mais qui est-il ?
Toutefois, je suis assez grande pour comprendre qu’il se passe vraiment quelque chose de louche durant mes rêves. En toute franchise, je dois avouer que ce n’est pas normal. Rêver de telles choses, les mêmes, et retrouver à travers chacun de mes songes chaque nuit de mon enfance les mêmes créatures, les mêmes formes de visages floutés accompagnés du même timbre de voix, n’est assurément pas un fait anodin, et encore moins ordinaire. Pourtant cela recommence… Pourquoi maintenant ? Et pourquoi sont-ils de nouveau si semblables ?
Et, malgré mon souhait d’avoir toujours regretté ne plus avoir accès à ces songes jusqu’à cette nuit, je suis effrayée. Je ne pensais plus à eux, à ces êtres magnifiquement sauvages enfermés dans des corps de loups mythiques, seulement ils avaient exactement la même apparence que dans mes souvenirs d’enfant. Mais si je tressaille à cet instant, c’est parce que j’ai pu sentir la peur les tenailler, chacun d’entre eux, et l’inquiétude suinter de leurs pores en me contaminant jusqu’à en être terrorisée.
Sans pouvoir me l’expliquer, je sais qu’il se passe quelque chose de grave, quelque chose qui les concerne tous. Les loups, le conteur d’histoires et les personnes les entourant. J’ai l’impression que l’on tente de m’envoyer un signal, un message que je suis incapable d’interpréter comme il se doit et ignorant complètement comment je dois m’y prendre.
Mais un côté rationnel de ma personne me dit que je suis en train de divaguer, qu’il faut que j’arrête ça tout de suite sous peine de reprendre mes délires de gosse sans queue ni tête maintenant que j’approche mes dix-huit ans.
Cependant, quand je pense à ceci, j’ai la sensation étonnante qu’une part en moi se débat violemment pour me faire entendre raison et penser à cela me fait d’autant plus secouer la tête et soupirer.

─ N’importe quoi, Tala, vraiment, me maugrée-je dans un soupir.

Je dégage vivement les draps de mon lit et me lève avec l’impression étrange d’abandonner la plus importante des choses qui soient sur Terre. Dans un geste automatique, je porte une main sur ma poitrine en massant mon thorax et tentant, vainement, d’apaiser cette sorte d’angoisse nouvelle qui m’éprend entièrement.

Tala…, résonne une voix. Cette voix.

Dans un hoquet de frayeur, je tourne dans tous les sens afin de trouver la source de sa provenance, même si je sais déjà que je suis seule tout comme je sais que je ne viens pas d’halluciner. À moins que ce soit dans ma tête, cela semblait si clair… Non, pitié, pourvu que je ne sombre pas dans la folie.
J’enclenche la lecture de ma playlist dans mon téléphone portable. Ce dernier est relié par le Bluetooth à la minuscule enceinte présente dans ma salle de bains attenante à ma chambre. Je m’engouffre, par la suite, sous une douche qui je l’espère apaisante au vu du souvenir toujours trop présent d’hurlements de détresse de loups, tel un appel fendant le calme de la nuit.
Je ferme les yeux sous le bien-être que me procure l’eau tiède s’écoulant sur mon visage offert, mais ce sont ses yeux à lui, luisants dans l’obscurité et totalement fixés sur moi, qui m’empêchent de trouver un minimum de réconfort et me font rouvrir les miens tandis que j’imagine une certaine fatalité l’assaillir.
Je frémis de la tête aux pieds sans pouvoir me l’expliquer.

─ Ce n’était qu’un songe. Tu ne dors plus, me rassuré-je en éloignant définitivement les images envahissantes.

Mais une sorte d’écho dans ma tête me tétanise.

Non !...

Isha (Sous Contrat D'édition "Bookmark" )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant