2. Identité retrouvée

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Je suis choquée de réaliser qu’une identité sur cette page réservée à la mère de l’enfant, à savoir moi, est bel et bien complétée. Je me précipite aussitôt dans sa lecture et dois m’y reprendre à deux fois pour être sûre de ne faire aucune erreur. Mais c’est indéniable, j’en viens à la seule conclusion qui déclenche des sensations inouïes en moi : il s’agit bien de ma mère. Le mot décédée avec la date qui est aussi celle de mon anniversaire me prouve que je détiens bien, entre mes mains tremblotantes, l’identité  de ma mère.
Ce sujet tant tabou, auquel je n’avais pas le droit de m’intéresser durant toutes ces années, est enfin déballé devant mes yeux ébahis et où je peine à y croire. Certes, ma mère est morte, mais cela représente pour moi l’unique chance de retrouver la moitié de mon identité inconnue. Je vais enfin pouvoir me sentir entière. Vivre avec une part de soi qui nous est totalement inconnue s’avère handicapant, car nous ne nous sentons pas complet. Nous avons l’impression de ne pas se connaître totalement soi-même et c’est assez déstabilisant.
Je pose le livret et observe une feuille qui était pliée à l’intérieur. Cette dernière n’est autre que mon acte de naissance. Je le replie et le glisse à nouveau dans le petit carnet et attrape ce qui semble être une lettre parmi les documents éparpillés sur la table. Je reconnais aussitôt l’écriture fine et penchée de grand-mère, et, cela suffi à me couper le souffle sous la vive émotion de réaliser qu’elle m’a laissé un dernier lien m’unissant à elle.
Cette dernière m’est adressée. La tristesse de sa perte vient aussitôt ternir la joie que m’a procurée la lecture de mon livret de famille. Ébranlée par ces multiples découvertes, je me lance, la respiration erratique, sur les mots soigneusement écrits sur la feuille que très légèrement jaunie.

« Mon adorée Tala,

Je suis consciente qu’à la lecture de cette présente, je ne serai plus de ce monde qui m’a permis d’être heureuse au-delà de mes espérances grâce à ta venue dans ma vie. Tu as représenté la fille que je n’avais pas eue et que je désirais tant, mais qui n’est jamais arrivée.
Comme tu le sais, l’ablation de mes ovaires a été un tournant très sombre dans ma vie de jeune femme, duquel je n’arrivais pas à me remettre. Moi qui rêvais tant d’avoir une famille nombreuse… Mais la vie me réservait quelque chose d’inattendu : le retour de ton père, les bras entourant contre son torse, ma petite fille nouvellement née.
Mes sentiments à cet instant-là étaient des plus contradictoires. J’étais dévastée pour mon fils unique qui venait de perdre l’amour de sa vie, et pour toi, ma petite fille chérie, qui n’aurais jamais la chance de connaître ta mère. En même temps, je nourrissais la joie immense de ne t’avoir que pour moi comme seule présence féminine dans ta vie, en tant que mère de substitution. Mon vœu le plus cher venait de prendre vie tandis qu’on me tendait sur un plateau la plus belle des filles. Désormais, MA fille.
Je t’ai aimé d’un amour inconditionnel à la seconde où je t’ai vu, et j’ai nourri ce sentiment puissant jusqu’à mon dernier souffle. Sache que tu as fait ma fierté, et que tu m’as rendue heureuse chaque jour de ma vie.
Néanmoins, aujourd’hui, je me dois de t’avouer cette vérité que j’avais promis à ton père de ne jamais te révéler. Sa demande était égoïste, mais il était tellement ravagé par sa peine dévastatrice qu’il n’arrivait tout simplement pas à parler d’elle. Noyant un peu plus son souvenir dans l’alcool. Ton grand-père et moi avons essayé de toutes nos forces, mais n’avons jamais réussi à l’en sortir.
Je dois t’avouer, honteusement, et que Dieu me pardonne, que d’un certain côté sa démarche nous impliquant sévèrement de garder le silence m’a rendu service dans le passé ainsi que durant ma vie, me montrant aussi égoïste que lui.
Je ne voulais tout simplement pas te voir t’éloigner de moi, et d’autant plus après la perte de ton père, mon fils unique. Ton grand-père était conscient que seul son amour ne me suffirait pas si tu venais à partir, car ma peine aurait été trop grande. Alors il s’est tu aussi, malgré ce que ça lui coûtait, lui qui est cet homme droit n’aimant pas cacher sciemment des informations aussi importantes. Il m’en a voulu, mais s’est rangé à ma décision. Par amour… »

Isha (Sous Contrat D'édition "Bookmark" )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant