3. En route pour River Fall

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Une semaine plus tard.

Je traverse une dernière fois l’emblématique pont du Golden Passage au volant de la voiture de grand-père, ma voiture désormais. Je quitte cette magnifique ville, qui m’a vu grandir et la parcourir, aux allures provinciales et à l’esprit très indépendant. Étant à ce jour un important centre bancaire et financier et une référence mondiale dans les technologies de pointe, notamment avec la célèbre Quartz Valley.
Cette ville m’a profondément marquée, surtout grâce à la mentalité de ses habitants. Car cette dernière reste empreinte par les nombreux courants qui y sont nés : les Flourishing et la Rhythmic Generation, puis le Black Jaguar Party, les Hippies, le Flower Regiment et les défenseurs des droits des homosexuels, Cole Cream en tête. Soit un tas d’indépendantistes aux vibes encourageantes pour la liberté des esprits, des peuples et de leurs droits.
Je ne me suis jamais lassée d’emprunter les cables-cars pour monter et descendre les fameuses collines, les Green Hills. J’ai toujours adoré admirer les maisons victoriennes alignées sur ses rues en pente, notamment la très sinueuse Main Street de Noble Hill, où vit Mr Smith.
Je repense à tous ses quartiers ethniques où grand-mère et moi aimions tant aller flâner, Chinik Suburb, Japanik Suburb, Action et bien sûr le quartier homosexuel Astro. On rejoignait souvent le Boat Building Marketplace, une ancienne gare maritime qui accueille désormais un marché couvert faisant la part belle aux produits bio et producteurs locaux.
D’ailleurs, lorsque nous revenions de ce marché, grand-père s’empressait de fuir la pièce de la cuisine, qui se transformait vite en zone danger sous un déballage impressionnant de légumes, fruits, produits laitiers, viandes ou produits de la mer selon nos envies.
Je le suspectais d’apprécier ces moments autant que nous, car je rencontrais souvent son regard malicieux qui nous observait avec attention, de sa place accoudé sur la table du salon, où il continuait à se pencher sur une de ses nombreuses affaires. J’adorais ce quelque chose d’exaltant qui se dégageait aussitôt de l’atmosphère de la pièce.
Désormais, je quitte tout ce qui faisait ma vie jusqu’ici, n’ayant plus personne, mais emportant avec moi, les nombreux souvenirs de ce que fût ma vie dans cette partie du monde. Des souvenirs heureux, et ceux, insupportables, qui m’empêchent de trouver le sommeil le soir, l’esprit trop tourmenté par les pertes que j’ai subies. Autant j’aime cette ville, autant je ne peux plus y rester.
La découverte de ma famille maternelle est une bénédiction pour moi. Elle me permet de fuir cet endroit que j’appréciais tant, mais qui, aujourd’hui, est peuplé de beaucoup trop de fantômes qui m’empêchent d’avancer.
Comme me l’a si bien souhaité grand-mère, je fonce vers ma nouvelle vie. Mr Smith a pris contact avec le président du conseil tribal de River Fall, Mr Carter, afin d’avoir les coordonnées de mes deux grands-mères. Ce dernier n’étant pas très bavard par crainte pour sa communauté autochtone, Mr Smith a dû lui expliquer la situation afin d’apaiser la tension qui émanait durant cet appel téléphonique.
Une fois en confiance et après l’accord de ma famille qui était grandement surprise et impatiente d’avoir de mes nouvelles, Mr Carter a communiqué le numéro de téléphone fixe de ces dernières à Mr le Juge.

Je n’ai pas loin de mille miles à parcourir pour joindre ma nouvelle vie. À bord de ma Mustang de 1968, petit bijou de mon grand-père, je vais sortir pour la première fois du sud de la côte Ouest. Une longue route m’attend.
Les miles défilent ainsi que le paysage. Je roule jusqu’à Reeves où je m’engage sur la 97 et peux admirer la Sacha-Trinity National Forest. J’y reste un bon moment avant de passer Deppy puis franchir l’état voisin où je croise un vol de goélands qui semble m’accompagner durant quelques miles, mais se dirigeant en direction de l’océan alors que je fonce vers les hautes montagnes.
Un sentiment déchirant m’envahit lorsque je regarde dans mon rétro la région qui m’a vu grandir s’effacer de mon champ de vision en la laissant derrière moi. Je lui adresse un dernier au revoir et continue ma route en admirant la vue de quelques forêts, la Mont-Winella, l’Umpilla et la Willessa National Forest, jusqu’à Rubeus où je m’engage sur la 84.
Le soir venu, avec autant d’heures de conduite, je suis épuisée. Je fais donc une pause dans un motel pas trop piteux et m’endors assez rapidement après m’être régalée d’un succulent repas fait maison et servi par l’adorable propriétaire âgée du motel.

Isha (Sous Contrat D'édition "Bookmark" )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant