Elle prit son briquet et alluma sa cigarette. Une fois celle-ci fumante, elle la porta à ses lèvres, laissant le poisson pénétrer ses poumons abîmés. Ah, la nicotine, quelle merde ! Le vent s'abattait sur ses jambes nues, découverte par la tenue d'opération qu'elle portait, cachant partiellement son corps, mais ne la protégeant nullement de la morsure du froid. Pourtant, elle n'en avait que faire, tant que son poison se frayait un chemin dans ses poumons. Arrêter ? Pourquoi tant d'efforts alors que les portes de la mort s'ouvraient lentement pour la laisser entrer.
Etant sur le toit de l'hôpital, elle avait une vue très claire de la ville. Cette ville qui autrefois la fascinait et l'émerveillait, lui provoquait maintenant à la vue un profond dégout. Un dégout de la nature humaine. Ces lumières scintillantes, ces beaux immeubles aux vitres transparentes, tout cela s'apparentait pour elle à un masque, un masque cachant la violence et la misère de l'humanité. Le mépris des puissants. Elle continuait de contempler la ville de ses désillusions. Elle expira, et une fumée odorante s'échappa de ses lèvres, se répandant dans l'air.
Un homme arriva à son tour sur le toit, cigarette à la main et remarqua cette femme. Cette femme en tenue grossière d'opération, les cheveux voletant autour de son visage d'une pâleur mortelle. Un cadavre vivant. Une morte avant l'heure. C'était comme si par sa peau, par son corps, on voyait les portes s'ouvrirent et l'accueillir dans leur repaire. Il s'avança donc vers la patiente et lui demanda calmement : « tu as du feu ? », elle lui tendit son briquet sans le regarder. L'homme le prit, c'était un briquet en fer, ouvragé. Il alluma à son tour sa cigarette, puis la porta à ses lèvres, tout en regardant la femme, qui elle était captivée par la vue. Le silence régnait de maître. puis soudain la femme déclara d'une voix rauque, brisée par le tabac, mais qui était étonnamment douce :
« Franchement, les humains, c'est moche... »
L'homme se tourna vers elle et déclara d'un ton calme :
« Peut-être mais ils font aussi des merveilles... »
La femme se tourna vers lui et l'observa. Il était grand, 1m90 environ, vraiment grand. Ses cheveux bruns décoiffés étaient légèrement ondulés comme s'ils avaient séchés sans qu'il ne prenne le temps de les coiffer. Il était en somme plutôt beau garçon. Mais ce que voyais la femme s'était ses yeux. Ses yeux remplis de fois en la vie, de patience, d'espoir. Et tout cet espoir le dégoutait, lui donnait envie de le briser, de lui faire comprendre la souffrance de la vie, la souffrance de l'humanité. Elle le trouvait absolument pathétique. Elle détourna les yeux de l'homme et retourna à sa contemplation. De toute façon, se disait-elle, il comprendra. Il comprendra la douleur et le désespoir. Il les connaîtra.
L'homme lui, la regardait. Malgré son ton blafard elle n'en restait pas belle. Ses longs cheveux blonds formaient une auréole autour de son visage, la faisant paraître tel un ange, ses lèvres rouges semblaient sanglantes en comparaison à son visage pâle. Et ses yeux... Ses yeux étaient grands, d'une couleur mélangeant l'ocre, le vert, le bleu et le caramel. Des yeux absolument incroyables, pourtant ce qui avait frappé l'homme n'était pas cette couleur extraordinaire bien qu'il le trouvât fascinante, non, c'était la souffrance, la douleur et la haine qui habitaient son regard. Un cocktail d'émotions qui la dévoraient, la tuaient.
Le cœur de la femme était lourd. Lourd de devoir supporter le poids de ses peurs. Elle était peureuse c'était un fait. Pourtant, s'il y avait bien quelques chose qui ne l'effrayait pas, c'était la mort. La perspective qu'elle pourrait avoir une mort agréable lui avait quelques fois traversé l'esprit, mais la femme savait que ce ne serait pas le cas. Elle mourrait dans la peur, à s'autodétruire, si elle continuait sur cette voix. Cette voix de solitude qui la rongeait, continuant d'agrandir le vide de solitude dans sa vie. En réalité, sa vie s'apparentait à une bénédiction. Une sorte de date buttoir où savait que le calvaire qu'était sa vie allait bientôt se terminer.
L'homme continuait de l'observer, ses grands yeux vides et peinés accrochés à la ville, comme fascinés, incapable de la lâcher. Cette ville destructrice qui scintillait comme une étoile déchue, dans l'obscurité. La femme semblait toujours plus pâle, ses veines visibles à travers sa peau, formant un entrelacement de ligne verte. Ses cernes, si grandes, rendait ses yeux plus magnifiques encore. Il continua de l'observer, le temps s'écoulant lentement dans le froid hivernal. Elle lui semblait fragile, comme si le moindre mouvement de travers pouvait la casser. Pourtant, il le savait, comme une intuition, peut-être liée à la profession qu'il exerçait, qu'elle était bien plus forte et solide que lui.
Il aurait pu faire tant de choses. Entamer une discussion, lui proposer son aide et bien d'autre. Mais, il n'en fit rien. Il la fixait et elle, elle fixait la ville. Une situation sans raison. Sa cigarette consumée, il en alluma une autre et posa le briquet qu'elle lui avait prêté sur le rebord du balcon. Il porta le mince bâtonnet à ses lèvres et inspira. Le poison se répandit dans ses poumons. Il la détaillait, la pointe de ses cheveux d'or était légèrement abimée, son corps était fin, si fin, trop fin... Le froid se faisait plus pesant, il se mit à frissonner. Il resserra sa blouse de travail autour de ses larges épaules. Elle n'esquissa pas un mouvement, comme si le froid ne l'atteignait plus, de toute manière elle se fichait bien de tomber malade. L'homme regarda sa montre, il était pour lui de regagner son bureau exigu, à voir des personnes défiler, tous avec des problèmes qu'ils ne savait pas gérer et qui, il devait l'avouer, l'agaçait profondément. Il n'était pas le travail qu'il exerçait.
Sa pause était finie. Il écrasa sa cigarette à moitié consumé, comme sa vie se dit-il, sur le rebord du balcon, juste à côté du briquet. Puis, comme il était venu, il partit. La femme était alors seule. Seule devant cette ville de mystère. On entend souvent que la beauté est à double tranchant cette ville en l'exemple. Si belle et si cruelle. Sa cigarette terminée, elle la lâcha dans l'air, et celle-ci se mit à tourbillonner dans l'air comme pour retarder l'impact fatal. Malheureusement on ne vit sa vie, on la subit. Elle s'éloigna de la balustrade et marcha d'un pas lent en direction de la porte qui lui permettrait de rejoindre sa chambre ridicule et où le désinfectant régnait en maître. Elle laissa le briquet sur le balcon, abandonné devant les lumières scintillantes.
Une semaine plus tard, l'homme apprit par un de ses collègues aide-soignant, qu'une femme sans nom, qu'il avait surnommé Luna était morte, durant la nuit, dans la souffrance et la peine. Elle n'avait ni famille à contacter ni effet personnel excepté un briquet ouvragé.
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SOLITUDE ( recueil )
Horrorvoici un recueil d'os divers certain peuvent traiter de suicide ou d'auto mutilation donc si vous êtes une âme sensible, s'abstenir Je n'ai pas grand choses à dire je vais poster irrégulièrement et des choses qui me feront plaisir. J'espère juste qu...