Chapitre 4 - Sauvé par L'impur

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En me réveillant, j'avais froid et je trempais dans une eau douce mais gelée, le visage pointant à la surface. Mes cheveux flottaient, bercés par le cours calme d'une fontaine. Une dalle de pierre s'appuyait sous mon dos, lisse et polie; rien à voir avec le sol rugueux des geôles de Ghirahim. Je sus que je n'étais plus là-bas.

Tout mon corps paraissait rouillé, mais revigoré en même temps. Je m'assis à genoux, récupérant mes cinq sens très lentement. La faim me tordait le ventre douloureusement.

Les taches noires qui perturbaient ma vision optique s'estompèrent petit à petit. C'était comme sortir d'un long coma. Je plissai les yeux, aveuglée par une lumière orange située à quelques mètres de moi.

Je me levai doucement, grelottante, attirée par la chaleur qu'elle m'offrait. Dans la pénombre, une flamme brûlait ardemment.
Quand je l'eus clairement distinguée, mes yeux s'habituèrent à la lumière nocturne.

Mes lèvres gercées s'écartèrent en surprise. Tout mon être, même mes émotions semblaient affaiblies. Pourtant, le feu de ma fureur se raviva dans mon cœur, aussitôt que je l'eus vu;

Mes souvenirs me revinrent, comme des coups de marteau dans mon crâne. C'était Ghirahim, là, éclairé par la lumière orangée. Ce démon arrogant, dérangé...

Même libérée du cachot, je me sentais toujours prisonnière de lui. Je n'avais aucune idée de l'étendue de ses pouvoirs, il m'était donc impossible de mettre au point une tactique qui me garantirait de le battre.
Cela me rendait folle.

Mes yeux glissèrent jusqu'à ses mains.
Il entretenait la flamme. Celle-ci prenait source au creux de ses paumes dégantées. Ses longs doigts faisaient crépiter les ailes rougissantes de son œuvre.

Je ne pus m'empêcher de le détailler, tandis qu'il s'attelait à la tâche. Ses longs cils noirs ourlaient ses paupières comme une parure ombragée. Il m'avait déjà révélé sa nature cruelle, mais je ne pouvais rester de marbre face à son aura charismatique.

Cela me rappelait la première fois que je l'avais vu, dans cette vision onirique, qui n'en était pas une au final.

Le Seigneur démoniaque leva les yeux sur moi, faisant sursauter mon coeur.

« J'imagine que tu ne sais pas où nous nous trouvons, dit-il, d'une intonation détachée.

Son timbre de voix ne retranscrivait pas de haine ou de dédain.
J'apaisai donc mes ardeurs. De toute manière, je n'aurais pu les exprimer dans mon état actuel. J'étais au pied du mur.

- Pas plus qu'hier, non.

Ma voix sortit tout éraillée de ma gorge. Je vins m'agenouiller près de la flamme que Ghirahim entretenait, restant sur mes gardes. Les gouttes d'eau ruisselaient sur mon passage. Instinctivement, je maintins une certaine distance entre nous.

- Hier... répéta-t-il, un mince sourire lui passant sur les lèvres.

Je clignai des yeux, confuse. Qu'est-ce qui pouvait bien l'amuser dans ce que je venais de dire ?
Comme s'il pouvait lire dans mes pensées, le démon déclara;

- Trois lunes se sont écoulées, humaine.

Délicatement, il coucha sa flamme à mes pieds, puis reprit ses explications devant mon air ahuri.

- Tu allais succomber à tes blessures lorsque tu t'es effondrée, fit-il, ses gants se filant autour de ses mains, de par sa magie occulte. Je t'ai donc amenée à la source sacrée de Hylia.

Prononcer le nom de la divine semblait l'écœurer.

- L'eau de cette fontaine purifie et nourrit en énergie les corps des enfants de la Déesse, m'apprit-il. En règle générale, cela n'aurait pas dû prendre autant de temps à guérir ta plaie, mais qu'importe...

Tandis qu'il parlait, j'observai ma main droite. Une cicatrice lézardait sur mes phalanges. La source était donc ce qui m'avait sauvée. Ghirahim soupira, croisant les bras.

- L'idée de laisser une mortelle se vider de son sang en moi m'est repoussante. Et qui sait les effets que pourrait avoir l'âme d'une humaine, enfermée dans la mienne... Mais qu'on soit clairs, je n'ai aucune merci envers ceux de ton espèce. Tout ce que j'ai fait n'a rien à voir avec de la pitié, je n'en ai pour personne, depuis que j'ai dévoué mon existence à mon Maître, et ce n'est pas toi qui changeras cela.

Ghirahim se leva sur ces mots. Il claqua des doigts. Une étoffe rouge jaillit au dessus de moi, tombant sur mes épaules transies de froid. Elle paraissait familière. Je me serrai dans le tissu doux et chaleureux, protégeant ma nuque en plongeant ma tête dans le col montant. Mais la conclusion du Seigneur Démoniaque laissait un goût amer dans ma bouche. Je n'avais qu'une envie; réduire son égo en poussière.

Lorsqu'il tourna les talons, je voulus l'en empêcher. J'avais l'impression qu'il tentait de couper court à une conversation que je n'avais pas encore eu le temps d'amener.

À brûle-pourpoint, j'élevai la voix;

- Tu ne fais que de répéter le mépris que t'inspire l'humanité, mais tes oreilles... Elles appartiennent à mon peuple, Ghirahim.

Dans le feu de l'action, je fus en mesure de mettre des mots sur ce qui me déstabilisait dans l'apparence de Ghirahim, ce qui contredisait son discours. Nous tous, humains, possédions cette caractéristique physique. Quelle étrange coïncidence qu'un démon en ait lui aussi, eux qui n'en étaient pas affublés dans les représentations sous papier laissées par nos ancêtres.

Ma remarque ne manqua pas de le heurter, il s'arrêta de marcher, et porta aussitôt une main à son oreille, comme si je l'avais brûlé.
Je me redressai, les points serrés.

- Je ne sais pas qui tu es, ou qui tu étais, continuai-je, le regard noir. Mais sache que je me vengerai de toi, et que lorsque nos chemins se croiseront, cette fois, tu n'oseras plus m'appeler "humaine". Tu m'appelleras par mon nom, et tu me supplieras de t'épargner !

Il se retourna, l'air sombre, et me toisa d'un mauvais œil.

- Tu n'es qu'une gamine présomptueuse, qui s'est échappée d'un paradis que tu ne retrouveras jamais ici-bas. Fais comme il te chante... Si tu retrouves ma trace, nous nous défierons donc à ta guise. Mais d'ici là, tu seras six pied sous terre. Ne crois pas que tes convictions te sauveront d'un monde abandonné, hostile et maudit comme celui-ci. Son roi est déjà assis à son trône, et je serai son valet. »

Le Monarque démoniaque disparut en un claquement de doigt, sur ces mots. La flamme qu'il m'avait offerte continua de brûler quelques instants, avant de s'éteindre comme si un souffle l'avait emporté.
C'était là que la survie commençait.

Le monologue de Ghirahim faisait écho à mes craintes. Sacrifier une vie assurée, pour laquelle j'aurais pu pallier l'ennui. Me retrouver impuissante et me faire engloutir sous ces nuages, la réverbération de mes cris de désespoir s'évanouissant comme une histoire perdue à jamais.
Je serrai mes genoux entre mes bras, me laissant aller à un sanglot lourd.

La pluie accompagna mes larmes.

Contre le nom de mon Créateur 【Ghirahim x Reader】SSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant