Gabrielle avait encore du mal à oublier les images qu'elle avait visionnées en compagnie du professeur Stephen Hill, ni encore à imaginer quelle suite pourraient prendre les évènements. Après lui avoir recommandé le silence, le professeur Hill l'avait escorté à travers le labyrinthe de couloirs du centre, lui avait prodigué quelques conseils concernant son parcours académique et réitérer le désir qu'était le sien de la voir s'impliquer plus dans ses études, lui affirmant qu'elle était une étudiante brillante et qu'elle ne pouvait pas gâcher son potentiel en se contentant de vendre des roses. La blonde l'avait poliment écouté, bien que d'une oreille distraite, et promis de reconsidérer la question.
Une fois sortie de la pièce, les sages paroles du professeur la désertèrent instantanément. Gabrielle avait énormément de respect pour le professeur Hill, du respect et une grande considération, mais elle songea qu'il y avait certains aspects de son existence qu'il ne pourrait jamais comprendre. Et surtout, elle était obstinément déterminée à ne pas pousser le mimétisme au-delà d'un certain point. D'accord, elle ferait ce qu'exigerait d'elle Kriline pour que leur famille vive en sécurité. Mais jamais elle ne pousserait la mise en scène au point de devenir quelqu'un de normal. Elle estimait avoir encore au moins ce droit. Cette liberté, celle de ne pas se conformer aux diktats de la société moderne, aux normes, à des stéréotypes absurdes, moteur de frustration du quotidien de ceux qui se laissaient naïvement embourber dans cet engrenage vicieux.Comme un robot qu'on s'efforcerait pour quelques stupides raisons à faire ressembler à un humain, Gabrielle ne voyait pas la raison de se métamorphoser en ce produit fini qui irait grossir une armée d'ouvriers d'un système malade auquel elle n'adhérait pas. Elle était convaincue que la stratégie d'assimilation de Kriline ne ferait qu'accentuer à terme ces différences et en définitive les faire paraître sous leur vrai jour.
Elle était une évoluée et c'était un fait que nul ne pourrait changer. Qu'on la traite de monstre ou qu'on la rejette, Gabrielle n'en avait rien à battre. Elle n'avait pas grand chose à perdre, pensait-elle. La vie lui avait pris sa mère et sa mémoire, son enfance et son passé. Mais elle avait encore son père, et donc elle avait encore quelque chose à perdre. Comme disait Kriline avec une infinie sagesse : on a toujours quelque chose à perdre. Et elle avait appris au fil des ans à redouter ce que le gouvernement ferait d'elle si elle était démasquée.
Alors comment expliquer au professeur Hill qu'elle était différente, qu'elle pouvait infiltrer l'esprit humain et le détraquer, comment lui dire avec des mots simples que sa cousine Kristene était plus rapide qu'une balle de pistolet ou que Nelly pouvait générer à souhait des températures approchant celle de la surface du Soleil, ou encore qu'elle-même ne tombait jamais malade.
Sa montre affichait vingt heures quart lorsqu'elle avait quitté le centre pour regagner l'aéroport. Elle avait alors fini d'errer comme une âme en peine dans les couloirs du complexe avant de s'asseoir et de méditer longuement. Devant la perspective d'attraper une pneumonie, elle décida de se hâter de rentrer à Westwood.
Elle constata avec dépit que son vol avait été retardé pour vingt-trois heures, elle fulmina puis siesta momentanément sur les banquettes décharnées du terminal, emmitouflée dans sa doudoune. Heureusement qu'elle avait avec elle son ordinateur portable et put ainsi profiter du wifi du salon d'attente pour entamer des recherches sur ce que lui avait appris son entrevue avec le professeur Hill. Mais il n'y avait rien à ce sujet sur les réseaux d'actualités ou même les sites d'informations. Frustrée, elle décida de tout enterrer dans un recoin de son esprit où sa curiosité maladive n'irait pas le déterrer.
En parcourant les sites de divers quotidiens et journaux, elle tomba sur une actualité qui retint son attention. Un homme d'une soixantaine d'années environ venait de faire l'objet d'une arrestation plutôt spectaculaire dans une petite ville du sud du Maine. Ellsworth, si sa mémoire lui était fidèle. L'homme, d'aspect chétif et misérablement vêtu, avait été saisi par un impressionnant dispositif de police. Son crime : c'était un modifié. Ou plus précisément un infecté, une des victimes de 98 qui se terrait dans cette ville depuis le jour de l'accident, y menant une existence paisible à l'écart de la société. C'était vraisemblablement le seul forfait dont il était accusé.
Une loi stipulait que tous les infectés non répertoriés devaient se signaler auprès des services fédéraux. Gabrielle en eut la gerbe, choquée. Soudain, elle songea aux nouveaux dispositifs de détection et un frisson de frayeur la parcourut comme jamais, avant de se rappeler que le Congrès avait voté pour que ces appareils ne soient jamais installés dans des lieux publics. Son cœur s'apaisa.
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Wãlden - Tome 1: Hégémonie
ParanormalLa grande majorité de l'humanité l'ignore mais depuis des temps immémoriaux, vivent parmi eux ceux que l'on surnome les évolués. Des êtres qui possèdent le "Fluide", une substance aux propriétés fabuleuses qui confère à ses détenteurs des facultés e...