Et voilà, elle rentre dans le jeu.Elle est dans le couloir, à l'ombre des regards, à attendre.
Inspirer, expirer, calmer les battements effrénés de son cœur. Le sang qui pulse dans ses veines avec tellement de force que cela en devient douloureux. Les mains tremblantes, comme l'ensemble de son corps en réalité. Faible ? Pas elle, dont la vie consiste à garder une poigne ferme sur le volant, à faire oublier aux autres qu'elle ne part pas sur un pied d'égalité. Il s'agit juste d'un malaise passager, rien de plus. Non elle ne ressent aucune chaleur étouffante, c'est juste l'écart de température entre l'extérieur et le bâtiment chauffé. Et qu'on écarte ce verre d'eau car elle n'en a pas besoin. Elle va très bien. Elle est forte.Tête froide, comme avant chaque course, parce qu'au fond c'est cela. Une course dont la fin n'est pas définie, qui peut s'arrêter à tout instant, et à laquelle elle espère participer le plus longtemps possible. Non. Elle restera jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'elle l'ai décidé. Elle ne laissera personne l'écarter de cette place dont elle a tant rêvé. Elle ne vivra plus, ne vit plus, que pour cela. Elle n'arrêtera pas tant qu'elle ne sera pas au sommet du monde. Voir les regards des autres impressionnés, la considérant comme leur égal. Les voir se remettre en question. Voilà son seul objectif, prouver qui elle est.
Elle rejoint le plus dangereux des jeux. Le plus convoité évidemment. Celui pouvant lui permettre d'atteindre le plus haut des podiums, le sommet. Mais aussi capable de faire fondre les ailes qu'elle a mis tant de soin et d'ardeur à fabriquer. La plus belle des victoires ou la pire des défaites. Les cieux ou les bas fonds. Une vie sans demi-teinte qui lui ressemble bien en réalité.
Elle a rêvé des étoiles toute sa vie et il semble qu'à cet instant cela lui paraît possible, peu importe ce que disent les autres. Elle l'a tant observé, admiré les yeux remplis d'artifices, ce jeu contre la mort. Des fusées brillant de mille feux qui avaient un jour fait battre ses cheveux et volé son cœur. Sa raison de vivre venue à travers les hurlements envoûtant des moteurs dont elle n'avait pu ignorer le charme. Arrivé si tôt que cela lui semblait être depuis toujours. Une normalité que l'odeur de l'asphalte, le bruit de la mécanique, le goût varié des compétitions, les couleurs étincelantes des carrosseries, la vibration du volant...
Et aujourd'hui rien d'autre ne résonne dans ses oreilles que le ronronnement du moteur. Les ragots des médias ne sont que des distractions qu'elle ignore effrontément. Les critiques ne sont constructives que lorsqu'elles viennent de bouches censées, ce qui est devenu de plus en plus rare les années passant. Ou son discernement devenant plus affûté. Et les remarques méprisantes ne viennent que se rajouter à la montagne de méchanceté qu'elle a pu recevoir au cours de sa jeune vie.Elle regarde en arrière dans le couloir histoire de voir si quelque chose la retient, là tout au fond. Mais elle ne voit rien, la lumière en face d'elle l'aveugle et l'attire. Rien ne semble plus beau que le danger, l'inconnu, pour les gens comme elle. Rien ne semble plus enivrant que la vitesse et l'adrénaline. Et l'arrière parait dans ce sens terriblement lent, d'une fadeur insupportable. Surtout quand elle sait ce qui l'attend. Seulement depuis qu'elle le sait.
Elle s'avance, sort de l'ombre après un temps qui lui semble infini et marche d'un pas conquérant jusqu'au cœur de l'enceinte. Elle se dirige vers sa nouvelle vie.
En chemin elle croise des employés, futurs collègues elle suppose pour certains, des personnes plus haut placées aussi. On lui lance tout type de regard : souriant, amical, courtois, neutre, méfiant, méprisant... Elle n'en tient guère rigueur. Elle le sait qu'elle n'est pas ici selon la volonté de tous. Voyons une femme ici, une femme à ce niveau ? Révoltant. Le genre de pensées, regards, remarques qui lui donnent envie d'atteindre des sommets. Sans doute l'une de ses meilleures motivations. Pas la plus saine d'après sa mère mais qu'importe.Et la voilà. Assise à ce siège. Un stylo à plume neuf dans ses mains, lourd, surement en métal. Un papier à l'apparence si banale sous ses yeux. Un appareil photo braqué sur elle suivant le moindre de ses gestes. Une situation dont elle devra prendre de plus en plus l'habitude elle suppose. Si elle avait brillé dans son sport précédemment, aujourd'hui ce n'est plus le même public. Dorénavant toute action ou parole serait connue, amplifiée et déformée. Pas forcément agréable mais si ça lui permet de montrer à tous ceux lui ayant dit d'abandonner qu'ils avaient tord, alors elle s'en contentera. Elle s'en fiche de toute façon, elle se l'est déjà dit et elle se le répète souvent.
Le geste se fait presque naturellement. Elle n'a pas besoin de méditer à ce propos, peser les pour et les contre. Enfin bref, tout ce qu'un adulte raisonnable aurait fait. Ce qu'elle n'est pas évidemment. Comment pourrait-elle sportive de haut niveau sinon ? L'insouciance est presque obligatoire ici.
Elle n'a aucune hésitation car elle a attendu ce moment toute sa vie. Car elle n'a fait que rêver alors pourquoi réfléchir ? Elle n'hésite donc pas mais le fait avec une lenteur considérée afin de profiter de l'instant. Elle veut le graver dans sa mémoire, de la même façon qu'elle le fait avec cette plume sur ce papier. Le plaisir de cet instant. Parce qu'elle vient de passer une énorme étape pour arriver à l'objectif qui rythme littéralement sa vie depuis aussi loin qu'elle se souvienne. C'est son but, son rêve qu'elle s'est promis de réaliser. Celui pour lequel elle s'est fait tant de fois moquée, et cette signature montre au monde que jamais on n'aurait dû lui rire au nez.Elle trace sur le papier sa signature. Et elle change à tout jamais sa vie.
Des rires raisonnent dans le bureau lumineux. Les hommes qui voulaient d'elle dans l'équipe de toute évidence. A moins que ce soient juste de très bon acteurs. Ils lui serrent la main franchement, la félicite et sortent d'autres phrases toutes faites sur le plaisir qu'ils ressentent à cet accord. Le fond de leurs pensées semble trop peu discernable pour elle, alors elle préfère se méfier. Les sourires des dirigeants, surtout ceux d'aussi grandes structures comme celle-ci, sont indéchiffrables.
Peut être un jour aura t-elle la chance et le courage de se sentir pleinement à l'aise avec les hommes de son métier ? Mais pas aujourd'hui, pas alors que sa situation est si précaire. Elle est faible à leurs yeux, elle le sait aussi bien qu'eux. Alors elle ne doit faire preuve d'aucune gentillesse, d'aucune faiblesse, avant de leur avoir montré. Une main de fer et un visage de marbre, et seulement quand elle sera sûre de sa position elle pourra se relâcher. Être au dessus du lot c'est s'assurer sa place dans l'équipe non ? Être indispensable, c'est ce qu'elle sera.
Une main lui est tendue, elle hésite à la prendre. Mais les caméras sont toujours braquées sur elle, et les dirigeants dans l'attente. Elle rend la poignée avec un sourire qu'elle arrive à garder naturel grâce à sa joie d'avoir franchi cette étape.
Le regard en face d'elle lui paraît sombre. Peut être légèrement illuminé mais elle n'arrive pas à le distinguer. Ce n'est pas assez net, trop flou, elle ne fait plus la distinction."Félicitations mademoiselle, vous voilà devenue pilote de formule un."
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Course en rouge
General FictionQuelques traits insignifiants, à peine une rature sur un bout de papier réalisée en une seconde. Une signature et elle avait changé sa vie, elle était devenue pilote de formule un. Un rêve d'une vie, un objectif suprême, début de tant et plus encor...