Course en rouge

VIII

Quand elle retourne sur le paddock c'est par obligation. Son écurie lui dit que c'est pour montrer aux médias qu'elle va bien et qu'elle a hâte de retourner sur les pistes. Mais elle pense que ce n'est qu'une partie de leurs raisons, qu'ils attendent également de sa venue que toutes les caméras soient braquées sur leur stand. Elle ne leur en veut pas, après tout c'est le jeu de l'argent de la popularité qui s'est développé en formule un ces dernières années, un des jeux majeurs pour accéder à la victoire. 
On a intégralement préparé le speech qu'elle doit sortir aux journalistes sans qu'elle n'ait son mot à dire. Cela résume bien les raisons pour lesquelles on l'a fait venir officiellement. Elle doit dire qu'elle est heureuse de revoir les voitures mais frustrée de ne pas pouvoir en conduire avant un mois. Ordre du médecin. Qu'elle ne pouvait attendre ce mois interminable pour retourner dans le paddock, même s'il s'agit simplement d'y venir en tant que spectatrice, et pleins d'autres phrases impersonnelles dans ce style.

La vérité c'est qu'elle n'a pas hâte de retourner dans ce monde. Elle n'a pas hâte de revoir le personnel de son écurie ni même de reprendre la piste, et elle le sent à la boule de stress qui se complexifie à chaque pas dans le paddock. 
Elle préférerait s'enterrer sous terre. Elle a honte et peur. Honte de son accident qui a fait perdre tant d'argents et de temps de travail à l'équipe. Peur des regards et messes basses qu'elle pourrait entendre sur son passage.
Elle voudrait rester seule loin de tout. Ne plus approcher qui que ce soit, de peur que cela la fasse souffrir.

Elle en a un peu parlé avec Anthony. Anthony qui est resté auprès d'elle depuis son accident sans jamais faillir. Toujours calme, positif et d'une patience admirable dans des moments où elle ne pouvait plus se supporter.

"Personne ne te blâme pour ton accident. Ton pneu a éclaté, ce n'est pas de ta faute ! Tu n'es pas la seule à avoir eu une crevaison."

"Je ne suis pas la seule ?"

Elle ne savait pas à ce moment là. À vrai dire elle ne s'était pas trop renseignée sur le déroulement de la course après son accident. Seulement regardé une vidéo extérieure de son crash. Elle en était sortie presque tremblante, prenant réellement conscience de la mort qui l'avait frôlée du bout des doigts ce jour là. Et elle avait enfin compris la réaction des autres. Cela avait en tout cas eu le mérite de lui enlever toute envie de traîner sur les réseaux sociaux et autres médias pendant plusieurs jours.

"Oui bien sûr. On a eu plusieurs DNF, tu n'as pas regardé ?"

Anthony avait semblé réellement étonné et quand elle avait confirmé ses propos son visage s'était assombri.

"Dis moi, je me demandais si ce n'était pas que tu..."

"Quoi ?"

"Rien. Rien du tout, laisse tomber."

Elle n'avait pas compris quel était le sujet qu'Anthony n'avait pas osé aborder et jamais elle n'avait eu l'occasion d'en reparler avec lui depuis.
Mais... Anthony lui avait ensuite vivement conseillé de parler avec son coéquipier David. Ne serait-ce que de l'appeler ou lui envoyer un message pour lui informer que tout allait bien. Et elle sent que cette demande n'était pas anodine. Elle n'est pas bête, juste malade. Elle voit bien Anthony essayer de conspirer afin de la faire sortir de ses idées noires depuis qu'elle est sortie de l'hôpital. Mais préfère le laisser faire en silence, peut être impatiente au fond de voir ce qu'il lui a préparé.

"Je suis content de te voir ici ! Je me sentais seul au stand sans toi dans le garage d'à côté."

C'est ce que lui lance David alors qu'elle arrive au niveau des locaux de son écurie dans le paddock.
Elle esquisse un sourire timide à sa réplique, heureuse de le voir simplement taquin avec elle et non précautionneux comme le sont plusieurs membres du staff depuis son arrivée. Enfin, le peu de personnes qu'elle a eu l'occasion de voir. Elle a préféré jouer au chat et à la souris depuis son arrivée sur le paddock, n'ayant pas encore trouvé le courage de faire face aux journalistes.