Course en rouge

XV

Des années se sont écoulées au rythme des moteurs pour elle.

Des victoires elle a enfin pu en obtenir. Elle a fait du bruit, s'est faite connaître le temps d'un soir par les médias du monde entier pour avoir réalisé cet exploit. La première femme vainqueur de Grand Prix. Son nom que peu cité une nouvelle fois mais son métier de pilote reconnu alors elle n'en a pas tenu rigueur.
Puis les journaux se sont lassés une nouvelle fois quand ses victoires sont devenues trop fréquentes, banales. Et là où avant l'or faisait couler des litres d'encre, dorénavant ce n'est qu'un chiffre de plus à son palmarès.

Elle s'était intégrée à son écurie plus vite que personne ne le pensait, elle même s'en était retrouvée surprise. Et avec cette sensation d'appartenance est venu l'attachement, l'envie d'être à la hauteur de leurs attentes. Elle avait voulu leur prouver qu'ils avaient eu raison de lui faire confiance, qu'ils n'utilisaient pas leur énergie et leur argent pour elle en vain.
Elle sait qu'elle a commencé à respecter tout cela lorsqu'elle est devenue une sérieuse candidate pour le championnat. Une future championne du monde de formule un, on le lui a souvent répété lors de sa première saison où elle est enfin devenue compétitive. Elle aurait pu se sentir terrifiée, abandonner un millier de fois et tomber en larmes devant autant d'attente.
Mais ça allait, elle ne s'est jamais laissée submerger, elle va bien. Parce qu'elle a fait de son mieux, elle se surpasse chaque jour. Et elle ne soucie pas des autres. Les conseils de David prennent un nouveau sens pour elle. Elle se demande comment lui a pu faire face à tout cela, ce tourbillon, être assailli de tous les côtés, sans l'aide de personne.
Son admiration pour lui n'a fait qu'augmenter au cours des jours et mois à vivre cette situation qui a été sa vie quotidienne pendant des années, et ce malgré les critiques émises de plus en plus souvent à l'égard de l'ancien champion du monde, disant qu'il n'a plus rien à faire en formule un et d'autres bêtises ridicules.
Elle a défendu son mentor avec ferveur face aux journalistes cruels, a vu le visage surpris de David puis son sourire discret. Alors elle a redoublé d'intensité. Aujourd'hui encore elle est une vraie lionne et l'on sait que jamais elle ne suivra ces rumeurs ignobles.

Elle s'est retrouvée à se battre au championnat avec bon nombre de pilotes mais sa rivalité avec Anthony restera celle l'ayant marquée le plus jusqu'à présent. Des duels épiques qui la font encore trembler d'excitation à la simple pensée ou mention. Même si la fin du combat s'était retrouvée perturbé, tous les deux s'étant faits doubler par un autre pilote. Une déception mais elle ne s'en était pas formalisée. Ce n'avait pas été une défaite, elle avait bien conduit. Juste un rival qui avait été plus fort, et elle qui devait se surpasser.
Mais pour Anthony ça avait été une honte. Sa première désillusion, et le jeune homme habitué à la douceur des victoires n'avait pas su faire face à l'amertume que lui avait procuré ce qu'il considérait comme une défaite. Il avait essayé de s'enfermer, avait ignoré ses appels. Cela lui avait rappelé des souvenirs, une pilote idiote ayant eu la même réaction.
Elle n'avait alors pas laissé la situation s'envenimer, connaissant pertinemment la fin sinon. Elle s'était invitée à l'hôtel où résidait Anthony lors d'un week-end de course, hôtel dont elle avait eu l'adresse par le coéquipier de ce dernier, et l'avait attendu une matinée.

"Qu'est-ce que tu fais ici ?"

Un accueil froid. Oui, cette situation ne lui avait été définitivement pas inconnue.

"Bonjour à toi aussi Anthony, je vais très bien merci."

Un grognement agacé et un rapide regard noir avait été les seules réponses du jeune homme. Au moins elle n'avait pas été ignorée.

"Très bien. Je suis ici parce que je sais pertinemment ce que tu es en train de faire. Et pour te conseiller d'arrêter immédiatement, si ce n'est pour ta santé, au moins pour ta conduite."