XIV

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Elle est totalement anesthésiée à la sortie de sa monoplace, à la fin du Grand Prix. Elle n'entend plus rien, ses oreilles débordant de sensations si fortes qu'elle ne peut les masquer. Elle se sent saoule de sentiments. Ivre, elle titube, voit flou et ne perçoit plus que des échos lointains.
Elle n'a même plus la force d'enlever son casque, de faire quoique ce soit.

Elle relâche absolument tout sans ne plus se soucier de rien. Pour la soulager, évacuer ce trop plein rendant son corps de plomb et son esprit en coton.
Son avenir incertain, le public, les caméras... Tout ça n'a plus d'importance, aucune. Elle ne les voit même pas, autant seule qu'elle est épiée de tous. Une sensation que personne d'autre qu'elle ne peut ressentir mais qu'elle sait partager avec son équipe.
Elle pleure, elle hurle à s'en déchirer les poumons, perd son souffle et n'attend même pas de le retrouver pour crier à nouveau.

On lui offre mille étreintes, la félicite à tour de bras et la soulève pour l'acclamer. Parce qu'elle l'a fait, elle vient d'obtenir son premier podium. Et elle le célèbre dans les bras de son équipe, sur les épaules de son équipe. Son équipe qui a supporté ses sautes d'humeur, son stress omniprésent ces dernières semaines, son perfectionnisme frisant l'obsession et ses encore mille autres défauts qu'elle se trouve incapable de remarquer. Elle voudrait rester ainsi jusqu'à la fin des temps, les voir sourire ainsi pendant des années et ne plus jamais les lâcher. Elle voudrait les garder avec elle, courir à leurs côtés avec une voiture performante, car ils méritent d'afficher ce sourire plus souvent. Ils méritent le championnat.

Elle ne sait même pas ce qu'elle doit faire, elle n'a absolument aucune idée d'où aller et elle a failli se tromper quand elle a dû garer sa voiture devant le panneau indiquant sa place, son podium. Elle se retrouve perdue au milieu d'un ras de marée humain.
David s'ancre à elle et la guide, non sans lui offrir son plus beau sourire. Une étreinte qui semble durer un instant, dont elle ne voudrait pas voir la fin, et des mots murmurés parce que cela ne regarde personne d'autre qu'elle.

Elle rejoint les deux autres pilotes dans la pièce de repos destinée aux trois premiers de la course, dont elle fait partie. Ils la félicitent chaleureusement, lui offrent des poignées de mains et étreintes légères, n'osant plus à cause de son sexe. Elle sourit devant cette maladresse, ne leur en tient pas rigueur. Ils complimentent sa conduite, donnant leurs avis et points de vue sur le Grand Prix passé. Elle ne sait plus quoi dire, ses joues s'empourprent. Elle se fustige un peu mentalement pour cette réaction mais laisse couler. Alors elle préfère détourner la conversation, parler de l'état du circuit, inondé. Des conditions piégeuses, dangereuses, terriblement amusantes.

Ils sont appelés pour sortir de leurs rêveries, s'exposer à l'extérieur. Montrer aux yeux de tous les vainqueurs, les élever au plus haut.
En premier se révèle au public le troisième de la course, un pilote d'une des top teams habitué au podium. Il sort dans la lumière sans hésiter, déçu de sa position.
Elle est appelée en deuxième, car c'est là où elle a réussi à terminer. Elle est deuxième du Grand Prix et que ceux qui lui disent qu'elle n'a pas mérité sa place aillent se faire foutre.

Malgré qu'elle soit aux côtés du vainqueur de la course avant son entrée sur scène elle se retrouve seule dans les escaliers un moment, quelques secondes.
Elle inspire grandement.
La foule en dehors aussi déchaînée qu'elle malgré la pluie diluvienne ayant refait son apparition. Les paroles lancées à travers un micro, félicitant des pilotes et écuries légendaires. Des pilotes et écuries qu'elle rejoint. Son nom également donné au micro, associé lui aussi à de nouveaux records, un record. La foule scande son nom et elle espère que cela ne sera pas la première fois. Bordel elle a fait un podium, elle a réalisé le podium qu'elle a toujours rêvé depuis si petite. Le podium d'une pilote, son podium. Elle va le montrer à tous, au sommet du monde, qu'elle en est capable. Elle va montrer qu'une pilote peut exister et qu'ils n'ont pas détruit ses espoirs de le devenir. Elle va le montrer enfin. Juste quelques marches à gravir pour atteindre l'extérieur où l'attend une estrade installée pour l'acclamer. Une pilote.

Course en rougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant