Chapitre dix-neuf

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« - Tu as mis une cravate.

- Tu es perspicace. »

Je jetai un regard noir à mon père qui me sourit.

« - Laisse-moi t'aider, » rajouta-t-il en me voyant désespérément tenter de faire un nœud digne de ce nom.

Il s'approcha de moi et, sans aucun effort, il tourna plusieurs fois la cravate dans tous les sens avant de la laisser délicatement retomber contre mon torse.

« - Voilà. Tu es très beau, mon fils.

- Merci Papa. »

J'attrapai une tranche de pain à la volée avant de sortir pour aller au lycée.

Une fois arrivé dans la cour, je pris un instant afin d'observer les autres étudiants. Tous étaient bien habillés, ce qui me procura une étrange sensation. Mes yeux firent rapidement le tour de la cour mais aucun signe de Thomas. Je soupirai et enfonçait mes mains dans les poches de la veste de costard.

Les professeurs aussi étaient très bien habillés. Tous semblaient avoir fait un effort. Je souris en voyant Mr. Leihm rajuster son veston avant de s'éclaircir la gorge comme pour annoncer le début du cours.

« - Quelle idée de merde cette journée de l'élégance, » râla quelqu'un à côté de moi.

Thomas s'affala sur sa chaise, l'air bougon. Je ne pus m'empêcher de lâcher une exclamation de surprise que j'essayai tant bien que mal de cacher en mimant une quinte de toux.

Il était beau. Magnifique, même.

Ses cheveux blonds n'étaient toujours pas coiffés et il avait l'air négligé mais il était de loin le mieux habillé de tous et attirait tous les regards sur lui. Sa chemise, trop grande pour lui et dont les trois boutons du haut avaient été déboutonnés, était négligemment rentrée dans son pantalon de costume noir. Il portait un nœud papillon qui avait visiblement l'air de le déranger puisqu'il n'arrêtait pas de le toucher. Il portait des chaussures noires également, vernies.

Je toussoutai une dernière fois, je me dis que j'en avais fait suffisamment pour paraître convaincant, et j'ouvris plusieurs fois la bouche pour dire quelque chose mais rien ne me vint. Chaque mot qui faillit franchir mes lèvres me paraissait si stupide, si ridicule comparé à la situation que je me ravisai et décidai de simplement hausser les sourcils.

« - Tu as quand même fait un effort.

- Ma mère m'a obligé à mettre ce stupide machin, » marmonna-t-il en désignant son nœud papillon.

Il me dévisagea longuement, la tête légèrement penchée sur le côté, les yeux brillants. Je le surpris à esquisser un petit sourire qui disparut aussi vite qu'il s'était dessiné sur son visage.

« - Tu n'es pas mal non plus, » finit-il par déclarer avec un sourire en coin. Il hocha les épaules comme pour signifier que ce qu'il venait de dire n'avait aucune importance mais je ne pus m'empêcher de remarquer que ses joues étaient devenues roses.

Je ris légèrement.

« - Dylan, ce n'est pas vrai !, » s'exclama Mr. Leihm en haussant la voix, ce qui me vit sursauter. « À côté de qui faudra-t-il que je vous place pour que vous consentiez enfin à vous taire ? »

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« - Pour la dernière fois, je suis désolé. »

Je fis mine de bouder mais le sourire de Thomas m'arracha un petit rire.

« - C'est toujours pareil, » dis-je d'un air maussade. « Les autres parlent et je me fais engueuler.

- Tu t'en tire pas mal.

- Je dois rester vendredi soir nettoyer la cour.

- Tu n'avais qu'à pas rire aussi fort.

- Je riais à cause de toi !

- On en revient toujours au même point, » conclut Thomas en riant. « Tu dis que c'est de ma faute et moi de la tienne. Disons que c'est une faute partagée. »

Il me tendit la main et je la serrai dans la mienne. Nos paumes restèrent collées l'une à l'autre un peu plus longtemps qu'il ne l'aurait fallu mais aucun de nous deux ne jugea utile de le mentionner.

« - S'il-te-plaît, Thomas, vient vendredi soir. C'est l'anniversaire de Jérémie au Kasoar, il y aura plein de monde super chouette.

- D'accord.

- Allez, tu verras qu'on va bien s'amu... Attends, quoi ? »

J'étais si convaincu de sa réponse que je n'avais pas pris la peine de bien écouter ce qu'il avait à me dire. Il sembla s'amuser de ma réaction et renchérit.

« - C'est d'accord, je viendrai. »

J'étais bouche-bée. Il sourit et se leva sans rajouter un mot. Après quelques pas, il fit demi-tour et me regarda, les yeux brillants.

« - Je sais où on pourra dormir après. »

Puis il réajusta ma cravate qui était de travers et tourna les talons.

Le dixième moisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant