Chapitre 1

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11 mai 2008, Bayeux.

—ADÉLAIDE !

Je souffle de frustration. Ma mère se fait un plaisir de taper du pied, car je suis encore en retard.

Je place mes cheveux roux en queue-de-cheval avant de mettre une touche de gloss. Je saisis mon sac à main et arrive à sa hauteur.

— Enfin ! On va juste à l'hôpital, tu sais !

— Oui, maman. Je sais, mais je vais y travailler dans deux mois. Je veux faire bonne impression si l'on me reconnaît.

Elle se contente de répliquer.

— Chérie, tu as seulement rencontré deux personnes, je doute que l'on puisse les croiser dans le service long séjour.

Je décide de ne pas lui répondre, le débat serait stérile. Elle ne comprendra jamais. À vingt-six ans, je vais enfin intégrer l'hôpital en tant qu'interne en chirurgie. J'en ai tellement bavé pour avoir ma place dans ce programme que je ne veux pas donner une mauvaise impression. Peu importe que j'y aille pour voir ma grand-mère. Je ne veux pas y aller décoiffée et en survêtement. Ma mère me jette les clefs de sa voiture et se place du côté passager. Je rentre dans la Citroën et l'observe dans sa robe fluide et son petit gilet jaune. Elle est élégante, mais ne sait vraiment pas se mettre en valeur. Son gilet est trop grand pour elle, mais comme elle aime me le rabâcher, elle préfère se sentir à l'aise. Je me retiens de lui en parler et roule en direction de mon futur boulot.

— Tu sais si elle est réveillée ?

— Non, aux dernières nouvelles, les médecins pensent qu'elle ne se réveillera pas.

Je souffle et tapote mes doigts sur le volant. Je culpabilise. Ma grand-mère est sur le point de mourir des suites de son cancer et ma dernière discussion avec elle n'était pas un bon souvenir. En effet, elle n'a pas seulement un cancer, mais également un Alzheimer et, depuis peu, elle ne sait plus qui je suis. Elle me prend pour une certaine Louisa. J'ai perdu patience lors de notre dernier échange. Je m'en veux de lui avoir crié dessus. Et maintenant, je ne pourrai pas m'excuser. Je vais devoir vivre avec ce regret et ce fait me brise le cœur...

Nous arrivons dans sa chambre avec un bouquet de fleurs, remplaçant l'ancien. Elle adore les tulipes. Elle semble si sereine. Je lui prends la main pendant que ma mère part se renseigner sur son état auprès d'une infirmière. Je l'embrasse délicatement. Mon téléphone sonne et je me redresse rapidement pour prendre l'appel.

— Adélaïde ?

— Oui ?

— Je te dérange ?

— Non, je suis avec mamie.

Elle souffle à l'autre bout du fil.

— Ah... Comment va-t-elle ?

— Pas bien, le médecin n'est pas optimiste.

— Elle sera mieux qu'ici. Sa vie n'était que chimère depuis plus d'un an.

Je ne peux réprimer un soupir d'agacement.

— Je n'aime pas quand tu parles comme ça.

Ma petite sœur a le don pour dédramatiser chaque situation.

— Je voulais t'annoncer la nouvelle avant que tout le monde soit au courant.

— La nouvelle ? Que se passe-t-il ?

Elle lâche un petit cri de joie.

— Jérémy m'a enfin demandée en mariage !

Je laisse échapper un hoquet de surprise avant de la féliciter et de l'interroger sur les détails de cette demande. Jérémy et Aude sont en couple depuis trois ans. C'est une relation tumultueuse, rythmée par des pauses et des mauvaises passes. Mais l'amour rend aveugle et je suis bien obligée de l'accepter comme beau-frère. Je reste néanmoins persuadée qu'il ne sera pas capable de répondre aux besoins de ma sœur afin qu'elle soit heureuse. Je masque au mieux ma déception dans des exclamations et des questions l'encourageant à m'en dire plus. Je remarque un changement dans le rythme cardiaque de ma grand-mère qui m'incite à ne plus écouter ma sœur. J'observe d'un œil méfiant la courbe devant moi en lançant des regards sur le visage de ma grand-mère toujours paisible.

Le Médaillon aux trois vies ( Sous contrat d'édition) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant