Cinquante six

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Cinquante six. Comme le nombre de cicatrices de Thorn. Ophélie les avait toutes embrassées. Cinquante six semaines. Elle avait déjà passé bien plus de temps sans lui, dans l'ignorance totale du lieu où il se trouvait. Ça n'était plus le cas. Elle savait. Ce qu'elle ne savait pas c'était comment le ramener. Cependant, elle avait la certitude qu'ils se retrouveraient. Un peu plus que ça même.


Ophélie se leva de son lit, observa sa chambre d'appoint et se posta devant le grand miroir qu'elle avait fait installer pour ses expériences. En cinquante six semaines elle n'avait jamais réussi à retrouver l'Envers. Elle s'en doutait. Pourtant, pendant quelques temps elle avait passé frénétiquement les miroirs, pour n'importe où, n'importe comment. En affrontant son reflet et comme son absence lui serrait le corps entier. Vide de lui.

Face à son reflet, elle redressa ses lunettes qui changeaient déjà de couleur. Le monde menait sa vie, paisiblement. Les peuples se rencontraient, se découvraient, s'apprivoisaient. Les arches étaient devenues un monde.

-Est-ce que tu m'entends ? Est-ce que tu sais quoi faire ?

Elle ne voulait plus passer à travers les miroirs sans savoir ce qu'elle faisait. Elle ne voulait plus qu'une chose. Le retrouver. Le ramener.

-Ensemble, assura-t-elle.

Son reflet la suivait sans aucun accro. Elle gardait ses cheveux courts et malgré sa peine immense de ne plus pouvoir lire, elle acceptait ses mains sans doigts. Elle songea alors à son rendez-vous et se faisant un signe de tête, sortie de la chambre.


Elle le cherchait. Elle vivait. Il n'aurait pas voulu. Il ne voudrait pas. Elle n'oubliait pas de vivre. Elle se souvenait étrangement de son passage dans l'Envers. On y voyait l'Endroit. Il gardait un œil sur elle. Il veillait à être au bon endroit au bon moment. Il serait là, quand elle trouverait. Peut-être qu'il savait déjà comment faire.

Dans la rue, elle se fraya un chemin tout droit vers une boutique dont l'enseigne annonçait « Prothèse et autres morceaux de vous ». Quand elle passa la porte, une clochette tinta. Entre les divers rayonnages, elle fixait son regard sur ces objets mécaniques qui ne pouvaient fonctionner tout seul. Là un doigt seul qui s'attachait avec un sangle sur une main. Ici deux orteils. Une colonne vertébral. Elle sentit son cœur se serrer devant une prothèse de jambe étonnement longue. Une commande sur-mesure. Mais elle n'était pas pour Thorn. Ophélie secoua sa tête pour que son esprit se remette en place. L'écharpe s'enroula autour de son cou en faisant un nombre impensable de tour tout en étant assez longue pour toucher à sa place. Les mains vides de doigts dans ses poches, la jeune femme s'approcha du comptoir.

-Je viens pour l'annonce, énonça-t-elle.

Sa voix était devenue si claire et si assumée. Cela l'étonnait, et si sa maladresse était quelque peu revenue depuis son retour de l'Envers, ça c'était rester. Elle pouvait pousser sa voix, la faire résonner, parler à une foule. Ça aurait été utile en tant que Vice-Conteuse, ne put-elle s'empêcher de penser.

-Vous savez faire quelque chose de vos dix doigts ? demanda le petit homme derrière le comptoir.

Ophélie fit un rictus et montra ses mains.

-Pour l'annonce vous êtes sûre mademoiselle ?

Ophélie s'approcha plus encore du petit homme et le comptoir sur arriva presque aux épaules. Son écharpe s'anima et s'amusa avec un tournevis afin de montrer ses talents. Le regard fier, Ophélie attrapa une prothèse et très rapidement cette dernière se mit à bouger toute seule.

-Pour l'annonce oui.

Le petit homme sauta de son fauteuil et se dirigea dans l'arrière boutique, laissant Ophélie toute seule. Elle se demanda si elle n'en avait pas trop fait. La mise en scène était peut-être de trop. Une femme immense poussa la porte à son tour.

La passe Miroir - Un peu plus que ça mêmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant