Voyage

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Victoire se sentait plus grande. Elle pouvait enfin voir le monde, le ciel, les arbres. Pas qu'en voyage. Elle ne voyageait plus beaucoup depuis le Grand-Voyage-Au-Fond-Du-Puit. Pourtant elle pensait souvent au Grand-Monsieur-Griffé, et elle aimait aller le revoir. Il la ramenait toujours à Maman. On aurait dit qu'il connaissait bien Maman. Victoire le sentait bien. Le Grand-Monsieur-Griffé ne parlait jamais, il faisait des visages. Il avait un regard qui parlait pour son cœur. Il avait l'air tout sec de dedans. Pourtant Victoire savait qu'il y avait autre chose. C'était pour ça qu'elle voulait le revoir. Quand elle voyageait Victoire voyait les choses différemment. Surtout Là-Bas. Tout était n'importe comment, les couleurs, les sensations, les paysages. Pourtant Victoire savait que c'était aussi un peu chez elle. La maison sans être la maison.

Elle voyagera cette nuit, quand l'Autre-Victoire dormira. Ça ferait moins peur à Maman, et à Grand-Marraine. Parrain ça le faisait rire. Le sourire de Parrain était partout dans le cœur de Victoire. Le sourire de Papa aussi. Il était gentil Papa maintenant. Il apprenait, comme Victoire. Mais surtout il ne faisait plus mal dans la tête. Vivement le dodo.


Thorn se tint droit, figé. Il a été là. Elle l'a reconnu. Il pouvait passer à la suite. Son plan est précis. Étape par étape. Il n'y avait pas d'urgence ici, la mort n'existait pas. Il avait pris cette information comme un fait. Si cela aurait surpris ou étonné certain, lui il l'avait accepté comme un nouveau paramètre. Seul comptait le fait qu'il devenait urgent de rejoindre Ophélie. Sinon il la verrait ne plus être. Et ça le déchirait plus que toutes les griffes des Dragons. Cette cicatrice là, il ne pourrait s'en remettre.

Il se projeta vers l'autre bout de l'Envers, là où habitait Bérénilde. Se déplacer dans cet endroit avec quelque chose d'improbable. C'était plus simple si on acceptait sans se poser de question. Il l'avait compris très vite. Ce fut donc rapidement qu'il sût comment parcourir ce nouveau monde. Il se pencha pour voir dans la maison. Ils dormaient tous, alors qu'Ophélie venait de se lever. Le nouveau monde, tout lisse, sans arche présentait des différences d'horaires et de jours d'un point à un autre. Comme pour les Arches finalement. Mais pas tout à fait. Il y avait un je-ne-sais-quoi d'indescriptible dans cet amas d'arches. Cela manquait d'air pour Thorn. Qu'importe.

Il attendit Victoire. Elle ne venait pas souvent. Mais elle venait. Et il devait lui passer un message.


Le voyage commença quand l'Autre-Victoire plongea dans le sommeil profond. Elle regarda son corps blanc dans son lit et traversa la porte de la salle de bain.Elle savait comment retrouver le Grand-Monsieur-Griffé. Elle se faufila jusqu'à la baignoire et se fit aspirer. Pourquoi cela marchait, elle n'en avait aucune idée. Ce qui comptait c'était le faire. Il était la grand, vert et tout rigide. Il ressemblait aux images que montrait Maman, les grands oiseaux. Héron ? Victoire n'était pas sûre, mais c'était un oiseau avec des grandes jambes. Tout maigre. Et un grand bec, comme son nez. Les mains du Grand-Monsieur-Griffé étaient pleine d'os. Elles ne faisaient jamais mal quand il la ramenait à la maison. Victoire le trouva changé. Ça brillait fort dans ses yeux. Il serrait les lèvres moins fort que d'habitude, comme s'il était content. Ça n'était le sourire de Parrain. C'était un sourire quand même décida-t-elle. Comme si ça lui demandait un effort tout en lui faisant plaisir, le Grand-Monsieur-Griffé lui tendit la main. Il voulait lui montrer quelque chose. Victoire n'avait pas peur. Elle la prit sans hésiter. Il lui fit parcourir Là-Bas. Les couleurs, comme à chaque fois étaient toutes mélangées. Les arbres étaient violets, le ciel était noir. Tout semblait pourtant très normal. Normal dans l'autre sens. Victoire n'arrivait pas à bien expliquer. Elle n'avait pas encore assez de mots. Puis dans le Là-Bas personne ne parlait de toute façon.

Ils arrivèrent dans une chambre, un lit, un miroir. Une petite fille, plus grande que Victoire était assise sur le lit. Le Grand-Monsieur-Griffé faisait l'impatient. Victoire voyait que dedans lui ça marchait à toute vitesse alors qu'il ne bougeait pas d'un millimètre. Il criait en étant silencieux, il regardait sans voir. Il espérait. Si Victoire avait pu entendre, elle était sûre que le cœur du Grand-Monsieur-Griffé faisait du tam-tam. Alors que Victoire commençait à s'ennuyer, il tendit la main pour qu'elle regarde.

On aurait dit Marraine. Elle ne l'avait pas beaucoup vue. Mais Victoire c'est le nom que Marraine lui avait donné. Et il était joli. Elle regarda attentivement, c'était bien elle. Elle se tourna puis regarda le Grand-Monsieur-Griffé. C'était lui, le Neveu ? Victoire ne savait pas trop ce que c'était un neveu. Maman en parlait beaucoup. Elle disait que Marraine retrouverait son Neveu et qu'elle le ramènerait. Que Marraine tenait toujours ces promesses. Qu'elle n'avait jamais vu une gamine aussi forte.

Le Grand-Monsieur-Griffé lui tendit la main et la guida jusque chez elle. Avant de retourner dans le corps de l'Autre-Victoire, elle pointa du doigt Maman, puis lui, puis fit oui de la tête. Elle n'avait pas d'autre idée. Il devrait comprendre. Elle était fatiguée. Elle s'endormit à son tour. Au chaud dans son lit. Les yeux brillants du Grand-Monsieur-Griffé avaient compris.

La passe Miroir - Un peu plus que ça mêmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant