Le commanditaire

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Ophélie tendit à son écharpe un petit morceau de cuir, et le maintint en place pendant que la laine saisissait un mini marteau. Ensemble elles travaillèrent plus rapidement que la veille. À trois mains, bientôt quatre, elles deviendraient très efficaces. Ophélie apprécia ce travail qui l'empêchait de penser. Concentrée sur son montage elle n'entendit pas la porte s'ouvrir et ce fût l'ombre sur son ouvrage qui lui fit lever la tête.

-Madame, je cherche Emilio.

-Il est parti manger.

-Alors ce sera vous. Il me faut quelque chose pour ça, dit l'homme du bout des lèvres.

Il montra son pied auquel il manquait une partie. Le dégoût se lisait sur son visage pincé. Il attendit sans bouger qu'elle s'occupe de lui. Glacial. Une chaîne reliait sonnez à sa bouche. Il avait la peau du même sombre qu'Ambroise, mais elle ne trouva pas la lumière dans son regard rouge. Un Visionnaire.

Ophélie attrapa un carnet, un mètre ruban et un crayon. Elle prit toutes les mesures qu'elle imaginait nécessaires. Elle utilisa aussi la drôle de boite qu'avait utilisé Emilio pour sa main. Elle n'avait pas forcément saisi quelle information elle donnait, mais elle en donnait une, seul ça comptait.

Une fois les mesures faites, elle se posa son carnet et se tint bien droite derrière le comptoir.

-Votre nom monsieur et votre adresse. Nous vous ferons savoir quand ce sera prêt.

-Amanio. Je viens de Babel. Je réside chez les Halim.

-Alana Halim ?

-Celle-là même.

-Je vous verrais à table ce soir alors.

L'homme grinça et s'en fût comme il était arrivé. Elle remarqua alors sa cane et son pas claudiquant. Il venait de Babel, un fils de Pollux. Il avait gardé les anciens codes, jusque dans sa tenue jaune. La connaissait-il ? Que faisait-il là ?

Soudain inquiète sans vraiment savoir pourquoi, elle se remit à son montage après avoir arrangé ses fiches et les avoir déposés sur le bureau d'Emilio. Sa pause à elle devait attendre la fin de celle du patron. Il la traitait ni bien, ni mal. Ça lui rappelait pourtant son rôle de valet. Ce bon vieux Mime. Et par la même occasion elle pensa à Renard et Gaëlle. Eux ne reviendraient pas. Elle revoyait encore Renard dire qu'il la convoitait depuis longtemps celle-là. Il avait réussi. Elle revoyait aussi les yeux de Nihiliste de son amie. Ils lui manquaient terriblement. Elle retint des larmes et se dit qu'elle devenait bien trop tendre pour avoir autant d'eau dans les yeux. Elle se donnait du mal pour être infatigable comme lui, pour imaginer leur vie après. Sans enfant, sans procès puisque Farouk n'était plus l'esprit de famille qu'il était avant. Sûrement que le Pôle n'avait plus de procès en attente. Ça ne serait qu'une étape de plus vers leur vie ensemble. Ensemble.

Est ce que je te suffirai ?

La question de défi que Thorn lui avait posée. Elle n'avait jamais répondu. Pas clairement. Pouvait-elle le faire ? Il voulait qu'elle ait besoin de lui. Lui être indispensable. Il l'était.

Aussi rugueux qu'il soit, aussi inconfortable, aussi grand, aussi osseux. Avec lui elle était complète, présente, vivante. C'est grâce à lui qu'elle s'était autant dépassée. Elle voulait le mériter. Être à sa hauteur. Qu'importe ceux qui ne comprenaient pas. Elle savait.

Son écharpe posa les outils et se mit à la serrer très fort, puis à la secouer. Le marteau s'agitait et cherchait à câliner plutôt que taper les clous pour les enfoncer. Ophélie sourit à cette image et tenta de se calmer. Ne plus penser, travailler. Réfléchir ce soir. Elle ressassait ses pensées depuis bien trop longtemps. Ces moments avec lui. Comme pour se convaincre que ça avait existé.

La passe Miroir - Un peu plus que ça mêmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant