La prothèse

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Du bout de l'écharpe, Ophélie maniait les différentes pièces de métal et de cuir qui deviendraient bientôt sa prothèse. Des doigts artificiels. Des automates ? Non. Une prothèse, une aide, un renouveau. La possibilité de toucher à nouveau. Les dons mécaniques d'Emilio avaient finis par arriver jusqu'à ses oreilles. Les détenteurs de ses prothèses parlaient de miracle, de sensation retrouver. Ophélie voulait savoir. Elle ne lirait plus. Mais pourrait-être encore toucher ? Effleurer ? Du bout de ses nouveaux doigts. En attendant, il fallait les construire. Elle suivait des instructions claires et précises. La matinée avait servie à prendre tout un tas de mesures de son reste de main. Elle n'avait jamais envisagé sa perte comme une liste de nombres.

Concentrée sur les agissements de son écharpe, elle temporisait ses battements de cœur et son envie d'être le soir même. Elle n'avait pas rêvée, elle en était sûre. Il fallait le dire à Bérénilde. Elle sourit en pensant que les temps des nouvelles étaient bien plus agréable. Sa mère ne hurlait plus son manque de lettre, Agathe la sermonnait parfois de ne pas chercher un nouveau mari, la tante Roseline la sommait de venir voir sa filleule. Soit. Elle irait cette nuit. Nuit pour elle. Jour pour eux. De l'autre coté du globe. Loin. Mais pas tant. Pour une passe-miroir, une simple formalité. Tout en observant le gant prendre forme, lui rappelant précisément ces doigts qu'elle avait cédé, elle réfléchissait à comment annoncer la nouvelle aux autres.

Sa mère n'appréciait pas vraiment son mari, son père se tairait dans son ombre, sa sœur lèverait les yeux au ciel et Hector demanderait pourquoi elle ne l'avait pas encore retrouvé. Aucun d'eux ne pouvait saisir l'intimité de leur relation. Ensemble. Un peu plus que cela même.

Ophélie ne trouvait pas d'explication. Il lui était indispensable. Malgré son indépendance, elle voulait se voir dans ses yeux. Son regard fier. Toute sa force à elle venait de son regard à lui. Elle avait tant voulu lui monter qu'elle aussi était capable, qu'elle pouvait l'aider, qu'elle n'était pas un boulet. Elle avait réussi. Elle était indépendante. Indépendante et incomplète.



-Alors ça avance l'assemblage ?

Emilio se hissa sur un marchepied pour observer de plus près le travail d'Ophélie. Sa petite tête ronde se trouva à quelques centimètres de son écharpe, ce qui ne plu pas à cette dernière qui s'éloigna assembler plus loin.

-Je dois regarder, annonça-t-il.

-Je ne peux pas lui imposer votre proximité monsieur Emilio. Elle n'aime pas qu'on l'observe de trop près. Fierté de lainage vous voyez ?

-Non pas vraiment. Chez moi les écharpes, elles bougent pas.

Ophélie se mit à rire et s'arrêta rapidement. Le bonhomme n'avait pas fait un trait d'humour.

-ça vous déplaît ?

-Elle fait mon travail et elle est même pas une sorte d'humain. Les nouveaux gens comme vous... ils...mmmrph, peu importe. Elle travaille bien. Donnez moi ça, que je finisse le bazar et que jvous l'enfile.

Ophélie se retint de poser les questions qui lui brûlaient les lèvres. Les nouveaux gens comme vous ? Elle pensait un peu la même chose d'eux. Elle se demandait sincèrement ce qui lui déplaisait, cet homme avait vraisemblablement un don, même s'il était d'une autre sorte. De l'or au bout des doigts. Bien plus que d'autres avant lui qui se faisaient passer pour des génie en imitant un faux dieu.

Ophélie attendait patiemment qu'Emilio revienne. Il lui paraissait impensable qu'une prothèse se fasse en une seule journée. Elle avait assemblé une main complète, l'armature. L'homme finissait le bazar, comme il l'avait si bien expliqué. Ophélie avait beau regardé dans les rayons du magasin, elle ne voyait que des armatures. Elle s'approcha et remonta ses lunettes. Sa maladresse légendaire la fit glisser et renverser le contenu d'un tiroir. Dedans des petits carrés, d'un papier épais et de lignes de métal. Il n'y avait aucune arabesque, pourtant cela ressemblait fortement au code d'Eulalie, aux plaques sur les Livres. Elle frissonna en refermant le tiroir. Nerveuse.

La passe Miroir - Un peu plus que ça mêmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant