Chapitre 20

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Derrière la porte en bois faisant office de cellules de fortune, Danayelle, Narsa et Egrim s'étaient tous éveillés. L'une avec une bosse sur la tête, l'autre avec un trou sanglant dans la hanche, et le dernier avec une bosse sur la tête et un trou sanglant dans le bras. Tous avaient été ligotés dans un coin différent de la petite pièce et soignés avec peu d'intention ; un simple morceau de tissu était serré au-dessus de leurs blessures. En prime, Egrim avait un ruban autour de la bouche, l'empêchant de parler et, surtout, de lancer des sorts. Narsa avait aux mains des gants en métal, comme des menottes futuristes. Et Danayelle avait les yeux bandés. Ce qui ne l'arrêterait peut-être pas de faire de la télékinésie, mais il était certain qu'elle manquerait cruellement de précision, ce qui lui rappellerait de mauvais souvenirs.

— Hé, fit-elle d'une voix encore endormie. Y'a quelqu'un ? Ou est-ce que je suis ?

— Nous sommes dans une pièce minuscule, répondit Narsa de son habituel ton blasé. Je crois bien que nous sommes retenus prisonniers.

Elle tenta de se dégager de ses entraves, mais le mouvement lui arracha un couinement de douleur. Sa blessure était profonde ; elle avait besoin de soin. Elle avait besoin d'Egrim. Lui, toujours étourdi dans son coin, était tout juste parvenu à ouvrir les yeux en deux petites fentes, le regard braqué dans le vide.

— Egrim, s'essaya tout de même Narsa. S'il te plait, réveille-toi.

Le mage produit un simple grommellement derrière sa muselière. Malgré toute cette situation, il aurait ri s'il avait eu le contrôle sur sa bouche. Narsa qui fait des politesses... Le monde est plein de surprise.

— Egrim, ajouta cette fois Danayelle. Fais quelque chose !

Et comment veux-tu que je fasse quoi que ce soit, dans cette position ?! voulut-il répliquer. Au moins, il avait toujours ses yeux pour se téléporter... s'il n'avait pas été solidement attaché contre le mur.

Deux mètres le séparaient de Danayelle. S'il avait pu retirer les bandes qui entravaient sa vue, elle aurait pu jouer de sa télékinésie pour tous les détacher...

Puis il éclata de rire pour de bon, le souffle saccadé derrière son morceau de tissus. La solution était là, tellement simple ! Mais il était tant épuisé, à bout de ses forces. À peine avait-il pensé à la formule de télépathie, « yerdis », que ses yeux se révulsèrent et il retomba dans l'inconscience.

— Egrim ? fit Narsa, inquiète. Oh, bon sang... nous ne sommes pas sorties de l'auberge.

— Nous sommes dans une auberge ? demanda Danayelle.

— Non, idiote, dans un bateau ! s'énerva la fée.

Celle-ci soupira, s'efforçant de se calmer et de se concentrer. Elle devait essayer. Elle voulait faire apparaître ses étincelles, mais ceux-ci prenaient vie à partir de ses doigts, coincés dans ses gants de métal. Elle voulut les faire fondre, mais la chaleur sur ses mains lui refila des brûlures et elle couina de douleur. Elle arrêta son manège ; c'était impossible de se dégager ainsi.

— Danayelle, fit-elle d'une voix faible. Il n'y a que toi qui peux tenter quelque chose.

Mais Danayelle n'y voyait rien. Et même si la télékinésie pouvait, d'une certaine façon, lui servir de radar et l'aider à deviner les objets autour d'elle, elle n'en restait pas moins trop étourdie. Le coup qu'elle s'était prise avait peut-être l'ampleur d'une commotion cérébrale ; ce qui était sûr, c'était que la moindre tentative allait probablement lui faire vomir ses tripes.

Elle tourna la tête dans la direction qu'elle estimait être Egrim, sur sa droite. Elle avait beau avoir le cerveau en compote, elle savait au moins que tout ceci était sa faute. J'ai halluciné, ou il a froidement tué un homme ? Le petit outré, si gentil et plein d'humour... du moins, l'était-il avant...

*

Plusieurs heures s'écoulèrent pendant lesquelles Egrim s'était éveillé à nouveau. Toujours coincé dans son coin, il observa un instant Narsa et Danayelle, toutes deux pitoyables. C'est ma faute, pensa-t-il avec honte. Il n'était pas censé faire partie du voyage, et Narsa encore moins. Elle va me le faire regretter, quand on se sera libéré. Puisqu'il était évident qu'ils allaient s'échapper... d'une façon ou d'une autre. Il était convaincu que Leerian et Mishi étaient là, quelque part dans ce bateau. Probablement caché, car il ne doutait pas qu'il y aurait du grabuge si les matelots découvraient la présence du Celeyste parmi eux.

Je pourrais peut-être les contacter. Je crois avoir retrouvé assez de force pour au moins un sortilège de télépathie. Mais il prit le temps d'y réfléchir, car peut-être n'aurait-il qu'une seule chance. Que devait-il dire exactement ? Et surtout, que devait-il attendre d'eux ? Il eut envie de leur demander banalement de défoncer cette porte, mais les mêmes résonnements que Mishi lui vinrent ; c'était le meilleur moyen de dévoiler leur présence, à la prochaine ronde des gardes.

Si seulement je maitrisais le sortilège d'invisibilité... mais ce n'était qu'un doux rêve inaccessible. Même le grand et puissant Sin avait du mal avec celui-là. Mais il existait un dérivé tout simple et qui menait à un résultat similaire ; grâce à la télépathie, il suffisait de faire croire qu'il était invisible. Sin le lui avait déjà fait une démonstration. Rien que pour se la péter, puisqu'il avait dit ensuite qu'Egrim n'était pas prêt pour de tels sorts. Il ne lui en avait pas voulu ; il avait déjà du mal à apprendre tout le reste.

Egrim soupira par le nez, puis se redressa autant qu'il le put malgré ses entraves aux mains et aux pieds. Par une minuscule espace entre deux planches du bateau, un rayon de soleil entrait dans la pièce. Il réussit à s'étirer suffisamment pour y approcher un œil. Au loin, à travers la mer et les vagues, il aperçut ce qui devait être une île de taille assez modeste. Elle était à bonne distance, mais il voyait plusieurs radeaux qui semblaient faire le chemin entre ce morceau de terre et leur navire. Étaient-ils déjà arrivés à leur mystérieux nouveau pays ? Egrim ignorait combien de temps il avait dormi, mais il doutait fortement que ça s'étale sur plusieurs jours. En fait, il n'y avait que quelques heures d'écoulées, depuis la veille où ils avaient grimpé dans ce bateau. Ce qu'il avait sous les yeux ne pouvait être autre chose qu'une île de Maras. Mais laquelle ? Lui n'avait jamais quitté le continent et il se retrouvait bien en mal de reconnaitre à laquelle il avait affaire. Il y avait neuf îles Maras, la plupart étant inhabité parce que trop minuscule. L'une n'était que des volcans – Danayelle la connaissait bien, celle-là – une autre de simples montagnes avec un petit village sur les côtes. Et enfin, il y avait Nocksor, avec un terrain relativement plat et ses natifs toujours de bonne humeur.

Egrim s'approcha à nouveau de l'espace entre les planches. Maintenant que cette idée lui avait traversé l'esprit, il était convaincu d'avoir véritablement affaire à Nocksor. C'était logique ! Il y avait des ressources, sur cette île, que l'on ne trouvait nulle part ailleurs au pays. Les ananas, par exemple, et certains types de fleurs et minerais. Si les marchands de ce bateau comptaient justement vendre les ressources de Nyirdall à d'autres pays pour se faire un peu d'or, il allait de soi qu'ils allaient en prendre un peu de Nocksor aussi !

Egrim se tourna vers Danayelle et tenta de parler, oubliant le bâillon qui emprisonnait sa bouche. Il s'efforça de le retirer en se pliant vers ses mains entravées. Puis il essaya avec son pied. C'était impossible, alors que même Narsa l'observait avec pitié.

— Si tu as quelque chose à dire, fais-le par télépathie. Je sais que tu y arrives sans prononcer de formule. Tu l'as fait, hier soir.

Egrim grommela, puis secoua la tête. Il ignorait combien de force il avait récupérée, mais ce n'étaient pas des masses. Combien de sortilèges réussira-t-il à lancer ? Non, il préférait tenter sa chance sur un coup plus grand.

Il se tourna à nouveau vers l'île Nocksor qu'il apercevait au loin.

Il connaissait quelqu'un qui y habitait. Un vieil ami de l'Institut.

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Un tout petit chapitre pour aujourd'hui... mais le prochain sera meilleur, promis 😅

La Légende de Nyirdall, Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant