Chapitre 4

41 7 46
                                    

Quand Danayelle était revenue, victorieuse, de son aventure, elle était retournée à l'Institut – par obligation, certainement pas par choix – pour terminer son apprentissage. En fait, avec la pierre d'Omins difficilement acquisse qu'elle portait fièrement au doigt comme une bague, tout était dans la poche. Contrôler sa télékinésie ne lui avait jamais semblé aussi ridiculement facile ; elle n'avait qu'à penser à une chose, et celle-ci se réalisait d'elle-même. Seulement, un djinn lui avait demandé d'aller à l'Institut, elle n'avait donc pas eu l'option de dire « non, merci ».

Il lui avait fallu cinq mois et demi, précisément, pour avoir enfin son badge de doté accompli et de retourner chez elle. Mais étrangement, ça n'avait pas été aussi pénible que ce qu'elle s'était imaginé, car pour la première fois dans cet établissement, elle s'était fait un ami. Elle et Tys, un jeune télépathe, avaient passé tout leur temps ensemble. Au début, elle avait eu du mal à s'y faire, puisque l'autre devinait toujours ce qu'elle s'apprêtait à dire avant qu'elle n'ouvre la bouche, mais elle avait bien fini par s'y habituer. Et Tys, lui, avait appris à montrer du tact en s'empêchant de lire dans ses pensées.

C'était pour lui que Danayelle était restée. Mais dès qu'il avait eu l'autorisation de sortie, elle avait décidé de lui emboiter le pas. Elle avait passé le test, qu'elle avait réussi haut la main en moins d'une minute, et tous deux avaient pris le même carrosse pour quitter l'Institut.

Ensuite, bien sûr, leur route s'était séparée. Danayelle s'était arrêtée à Stanmore, alors que Tys continuait son chemin au port de Mefghan pour emprunter un bateau jusqu'à son île natale ; Nocksor. Et tous deux en étaient convaincus ; ils ne se reverraient plus jamais.

Et maintenant, Danayelle avait repris sa vie normale... qu'elle n'avait plus gouté depuis un an, cinq mois et dix-sept jours. Ses parents, son école, sa ville... et ses rumeurs. Beaucoup de rumeur.

Danayelle avait eu son premier jour d'école trois jours après son arrivée. Elle était confiante, souriante. Ça lui avait fait du bien de revoir ses parents après cette si longue absence. Elle avait un peu le stress de la rentrée, mais c'était tout... jusqu'à ce que, dès les premiers pas dans les corridors, tous les regards s'étaient tournés vers elle. Danayelle s'était imaginé que, avec tout le temps passé, ses camarades de classe en auraient oublié son existence. Mais apparemment, non.

*

Danayelle était assisse au fond de la classe, à essayer de comprendre autant la matière dont elle avait tout oublié, que ses amis qui la dévisageaient continuellement depuis son arrivé. Elle savait avoir fait quelques lourdes conneries pendant son aventure avec Leerian, Mishi et Egrim, mais c'était il y a six mois ! Étaient-ils obligés de la fixé comme si une deuxième tête lui avait poussé ?

Il y avait des elfes, des lutins, des nains et des fées. Pour que tout le monde puisse bien voir le tableau et le professeur à l'avant, les elfes étaient contraints de s'asseoir à l'arrière. Ça aurait presque pu passer pour raciste si ce n'était que les trois autres races n'arrivaient qu'aux hanches de Danayelle. En réalité, ce constat lui faisait surtout remarquer que les seuls à ne pas la dévisager étaient les nains. Pourquoi ? Qu'est-ce qui différenciait les nains à tous les autres ? Elle avait de la difficulté à comprendre, mais se sentait sur le point de toucher la réponse.

Soudain, un elfe, assis à la droite de Danayelle, ne put contenir son excitation. Il se pencha vers Danayelle et murmura, si bas que celle-ci eut du mal à l'entendre malgré ses longues oreilles affutées :

— Est-ce que les rumeurs sont vraies ?

Danayelle secoua la tête et haussa les épaules. Elle n'avait aucune idée de quelle rumeur il parlait.

— Tu as connu le roi Celeyste ?

Cette fois, Danayelle leva les yeux au ciel. Évidemment qu'il était question de Leerian. Sans répondre, elle se pencha à nouveau vers son carnet de notes pour retranscrire tout ce que disait la professeure, alors que l'autre attendait patiemment qu'elle confirme. Pourtant, elle n'arrivait plus à se concentrer. Je me demande ce qu'il devient, Leerian...

Soudain, Danayelle se sentit mal. Ça faisait trois jours qu'elle était revenue en ville et elle n'avait jamais pensé à lui rendre visite. Le pauvre, il devait tellement s'ennuyer, dans sa tour ! Elle savait qu'il était enfermé au quarante-cinquième étage de la tour, ça, elle l'avait lu dans le journal. Seulement... était-il possible d'aller le voir ? Il était surveillé par des djinns, probablement. Et avec ses conneries de six mois plus tôt, Danayelle craignait de se montrer devant eux et qu'ils réalisent soudain qu'ils avaient été trop indulgents envers elle. Cette pensée l'angoissait. Elle le savait ; elle méritait la prison pour ce qu'elle avait fait. Elle avait tué combien de personnes, en cours de route ? Un djinn pourrait très bien décider sur un coup de tête de l'envoyer à Werisor, la ville-prison des dotés ! Ce serait le comble, vraiment...

Danayelle posa sa main droite à plat sur son pupitre, observant la bague orangée à son annulaire. C'est ma faute s'il est dans cette situation. Tout ce qu'il a fait... c'était pour moi. Pour ce petit bijou. En fin de compte, le risque en valait le coup... pour tout ce qu'il avait fait pour elle.

— Eh... psst...

Danayelle soupira en levant les yeux vers son voisin de pupitre. Il attendait toujours la réponse.

— Oui, dit-elle simplement dans un murmure. On se connait. C'est mon ami.

L'autre ouvrit la bouche, impressionné. Danayelle commençait à trouver cette situation pénible. Elle tenta à nouveau de se concentrer sur le cours, mais son camarade de classe

lui tapota le bras pour ramener son attention sur lui.

— Dis, est-ce que tu pourrais faire en sorte que je puisse le rencontrer ?

Cette fois, Danayelle pouffa de rire, attirant quelques regards sur elles. Mais pour qui il se prenait, celui-là ? Danayelle n'était même pas sûre de parvenir, elle, à lui rendre visite. Et il voudrait qu'elle emmène un inconnu avec elle ? C'était une mauvaise idée sous tous les points de vue. Danayelle n'avait pas oublié ce qui se produisait quand Leerian rencontrait quelqu'un de nouveau ; c'était la catastrophe à chaque fois. Pour son cas, elle était passée à deux doigts se faire transpercer par une licorne, et elle était loin d'être la pire.

— Impossible, désolé, dit-elle dans un haussement d'épaules.

— Mais toi, tu peux bien le voir, non ? Tu lui rends visite, parfois ?

— T'as encore beaucoup de questions ? Tu commences à être chiant, là.

L'autre eut un moment d'hésitation, étonné de son ton dur. Danayelle lui fit un sourire de travers. Au même moment, la cloche annonçant la fin du cours sonna. Danayelle en profita pour fermer son carnet de notes, enfonça son stylo dans la poche arrière de son jean, et quitta la classe en se faufilant parmi ses camarades.

Pour une première journée de cours, ç'avait été plutôt pénible ! Au moins, maintenant, c'était terminé. Tout en faisant attention de ne pas écraser les lutins qui passaient entre ses jambes, elle réussit à se rendre dehors, où elle fut surprise par une averse glaciale. Il ne pleuvait pas, ce matin ! En moins de trois secondes, elle était déjà trempée. Elle serra son carnet contre sa poitrine, baissa la tête, et couru sur les trottoirs en direction de son appartement familial, qui était trop près pour se donner la peine de prendre un taxi. Elle avait hâte d'entrer à la maison et d'aller sous la douche. Et pourtant... incapable de s'en empêcher, et s'arrêta à mi-chemin pour lever les yeux vers la tour des Djinns. Elle était là, devant elle. Le plus haut immeuble de tout le pays, habité par des êtres surpuissants... et Leerian. Enfermé quelque part dedans.

J'y vais. Je veux juste lui dire bonjour... prendre de ses nouvelles... ils ne vont quand même pas m'envoyer à Werisor rien que pour ça ! Non ?

Non. Et pourtant, en jurant contre elle-même, Danayelle continua son chemin. Elle avait parcouru le pays entier avec une prime sur sa tête, elle avait tué un dragon, survécu au kidnapping de pirates... et elle craignait d'entrer dans cette tour.

Demain, je le fais ! tenta-t-elle de se convaincre. Promis, Leerian. On se voit demain !

La Légende de Nyirdall, Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant