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C'est lorsque je me lève sans attendre que mon réveil ne sonne que je me rends compte qu'aujourd'hui est l'une des très rares fois où je suis assez motivé et en forme pour me lever de bonne humeur à six heures vingt au lieu de sept heures. Pour la première fois depuis deux ans, je vais voir le visage de mes camarades. Certains trouveront sûrement mon attrait pour cela étrange, mais j'aime observer les visages, en regarder les détails, trouver un détail qui en fera son charme. Alors depuis l'année dernière, j'ai passé une grande partie de l'année à espérer que le virus qui nous emprisonne dans des habitudes que nous avons dû aménager pour lui disparaisse subitement, que nous puissions enfin retirer ces masques qui nous cachent la moitié du visage. J'aime bien tenter d'imaginer ce à quoi peuvent ressembler exactement mes camarades, mais c'est bien aussi de pouvoir regarder ce qu'il en est vraiment. Certes, je voyais certains visages en sport, puisque nous avions sport avec les élèves qui constituaient nos classes, mais certains gardaient leurs masques même pendant l'effort, moi-même il m'arrivait d'oublier de le retirer. Mais cette année, je n'ai pas pu voir le visage de la moitié des gens de la classe. J'ai vu celui de mes potes, notamment en soirée, ou encore au déjeuner, mais ceux avec qui je parle moins, pas du tout. Ma douche prise, je rejoins le salon. Mon père, qui est toujours le premier levé, sursaute en m'entendant arriver.

« Qu'est-ce que tu fais debout à cette heure-là ? » me demande-t-il.

Je n'ai pas le temps de répondre que ses yeux s'écarquillent en même temps qu'il s'exclame, m'empêchant de répondre :

« Ne me dis pas que tu as fait une nuit blanche en sortant en douce avec tes amis alors que tu as cours ! »

C'est à mon tour de le regarder de travers. Ce n'est arrivé qu'une seule fois, un mercredi soir. Dans notre maison, deux portes mènent à l'extérieur, et la porte du jardin ne fait presque pas de bruit et permet de rejoindre l'herbe plutôt que les graviers qui constituent l'allée menant à notre maison. Donc j'étais sorti et j'avais rejoins des amis, on avait peut-être passé plus de temps à boire qu'à parler... Mais je me suis fait prendre en rentrant bourré, ma mère m'a collé sous l'eau froide, je ne suis pas allé en cours mais j'ai dû justifier moi-même mon absence, je n'ai plus eu le droit de sortir pendant deux mois. Pourtant, mes parents sont plutôt cool sur les sorties, je fais ce que je veux tant que mes notes sont correctes et que je ne cause de problèmes à personne. Ce n'est que très rarement qu'ils ne m'ont pas autorisé à rejoindre mes amis à des fêtes, mais généralement j'obéis. J'avais voulu tester les limites, je les ai trouvé.

« Non ! Je viens de me lever. Je sors de la douche. J'étais réveillé, et plus fatigué. Donc je me suis levé. Je n'avais pas envie de rester dans mon lit quarante minutes à attendre que mon réveil sonne. »

Quelque part, ça ne devrait pas être si étonnant que je puisse me lever aussi tôt. Une fois que je suis réveillé et plus fatigué, je ne vois pas l'intérêt de rester dans mon lit à tourner pendant trente minutes. D'autant plus que les rares fois où ça m'arrive, je me sens étrange physiquement donc j'évite.

Par contre maintenant, je ne sais pas ce que je vais faire. J'ai un peu moins d'une heure à attendre : je pars avec ma sœur pour les cours, et elle ne sera pas prête avant sept heures quarante, heure à laquelle nous partons pour l'arrêt de bus qui est à cinq minutes de chez nous.

Je monte regarder mon agenda, des fois que j'ai des devoirs, on ne sait jamais, ce sera ça de moins à faire.

En arrivant devant le lycée, un sentiment étrange s'empare de ma poitrine. L'appréhension. J'étais pressé de découvrir le visage de tout le monde, certes. Mais j'avais oublié l'oppression qui me prend parfois lorsque je me retrouve au milieu de tous ces gens. Je sais que ma mère aurait préféré que je fasse comme ma sœur etgarde mon masque, mais à quoi bon. J'ai déjà eu le virus deux fois. Je dois reconnaître que je me passerais bien de l'attraper une nouvelle fois, mais passons, toujours est-il que malgré tout, ça fait du bien de ne plus respirer le même air toute la journée.

Masqué [L.S]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant