39.

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Cette première nuit seul dans notre appartement me fit l'effet d'un désagréable sentiment d'abandon.

Je me réveillai aux environs de quatre heures du matin, secoué par un cauchemar dans lequel je courais pour tenter de rattraper quelqu'un. Le message ne pouvait pas être plus évident que celui-là. Tendu, moite de sueur et glacé jusqu'aux os, je déambulai dans l'appartement jusqu'à la salle de bain, le néon clignotant au-dessus du lavabo me brûla les yeux et en rouvrant les paupières, je fis le constat de mon apparence. J'étais Min Yoongi, vingt ans et plus, j'ignorais objectivement mon âge, la peau pâle, le visage bien trop juvénile à mon goût et mes cernes prouvaient l'état lamentable dans lequel je me mettais.

Je ne me comprenais pas.

Depuis combien de temps cette sensation en moi couvait au point de se retrouver soudain devant la scène ? Pourquoi n'avais-je pas fait le constat de ce sentiment de dépendance à l'autre beaucoup plus tôt ? Pourquoi me sentais-je si mal ? Si abandonné ?

Il y avait l'angoisse, bien évidemment, l'incertitude, l'impossibilité de contrôler les choses, l'imprévu qui m'empêchait de dormir sur mes deux oreilles correctement. Mais en dessous de ça, il y avait cette terrible impression de me sentir déchiré et vide.

Je me souvenais des périodes récentes où j'avais ressenti cette impression d'être déphasé vis-à-vis de mon corps, de mon âge, du reflet que je renvoyais. J'avais vécu avec ça en tâchant de ne pas m'en préoccuper. Et puis il y avait eu l'effacement de mes souvenirs. À ce moment-là, alors, j'avais été replacé correctement dans cette jeune carcasse et le sentiment de dissociation s'était tari.

Comme si chaque chose était revenue à sa place.

Pourtant, même si je me voyais correctement et que je reconnaissais mon visage, il me restait cette désagréable impression d'être absolument inutile à présent.

Je n'aurais jamais dû le laisser partir.

C'était mon sentiment le plus égoïste, finalement. Je n'avais envie de garder le gamin près de moi seulement pour donner un sens à cette existence étrange. Sans sa présence à lui, aurais-je pu exister finalement dans cette seconde vie ?

J'étais revenu, je le savais et maintenant que me restait-il à faire ?

Rien.

Il ne me restait plus rien.

Ce reflet devant moi semblait sans saveur, une façade lisse, un semblant d'humain. Je n'éprouvais pas de joie, pas de peine, seulement ce sentiment de fonctionner au ralenti comme une machine en panne de batterie. La routine meublait mon temps, animait mon quotidien. Je faisais pourtant le constat d'une solitude dont je n'aurais jamais imaginé être si malade.

Que devais-je faire maintenant ? Attendre.

Attendre seulement.

Alors j'attendis, chaque jour durant. Une semaine passa puis deux. J'allais en cours, je me rendais au stage, j'effectuais mes courses, mon ménage, ma lessive et la journée recommençait une nouvelle fois. Un cercle sans fin. Évidemment, Taehyung m'avait averti par message de son arrivée, dès qu'il avait posé le pied à l'aéroport de Berlin mais depuis, il se montrait peu causant. Certaines choses ne changeaient donc pas, même à huit mille kilomètres d'écart.

Il restait les non-dits et les silences.

Je suivais son périple et autres pérégrinations sur Instagram. Ce fut Sun qui m'informa qu'il y postait régulièrement des photos. Alors un soir particulièrement silencieux au sein de l'appartement, tandis que je cherchais à remplir ce temps que je ne supportais plus, je créai un compte pour m'abonner au sien. C'était une première pour moi. Jusqu'alors, j'avais toujours misé sur le fait que je n'avais pas le temps, ni même un téléphone suffisamment puissant pour tenter l'aventure.

L'AccidentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant