La servante tira les rideaux d'un geste brusque. Le soleil inonda la chambre de lumière, réveillant brutalement la jeune femme étendue sur l'immense lit à baldaquin. Elle eut un bref grognement puis se redressa, saluant la servante d'un geste bref du menton. Il s'agissait de réincarner son rôle après une trop courte nuit de sommeil. Elle se glissa hors du lit, accepta le châle que la servante glissait sur ses épaules et rejoignit la coiffeuse richement taillée en bois de rose.
La servante s'activa autour d'elle sans un mot, ni même un regard envers la face encore endormie de la jeune femme. Elle libéra ses cheveux noirs d'une épaisse tresse, les peignit vigoureusement et les coiffa en de complexes entrelacs et tresses. La jeune femme garda ses yeux fermés durant tout ce temps. Depuis deux longues années, elle n'appréciait que peu de moments de ses journées inlassablement redondantes. Toutefois, la sensation de la brosse dans ses cheveux et le contact des doigts de sa servante sur son crâne l'apaisaient chaque matin. Malheureusement, la virtuosité de la vieille femme réduisait la durée de ce moment si plaisant en comparaison de ce qui l'attendait le reste de la journée. Elle fut ensuite maquillée puis habillée, enserrée dans un corset et une robe aussi élégante qu'inconfortable.
La servante se retira par une porte dérobée tandis qu'elle-même se dirigeait vers les grandes portes de sa chambre. Après une grande inspiration, elle les ouvrit et se glissa dans un des nombreux, et immenses, couloirs qui parcouraient le palais. Elle le parcourut d'un pas lent, la tête haute, comme elle le faisait depuis déjà de nombreux mois. Elle passa devant plusieurs gardes aux canines aussi aiguisées que les siennes. Eux au moins n'avaient pas eu à renoncer à leurs armes en s'installant au château.
Son cœur se serra à cette pensée qu'elle préféra refouler. Elle refoulait tout depuis des mois. Après tout, elle était revenue ici pour sa sécurité. Et parce qu'elle n'avait nulle part ailleurs où aller depuis le retour des daemons. Choisir de renoncer à chacun de ses droits, particulièrement en tant que femme, n'avait pas été un choix aisé mais sa fuite avait réduit la palette de ses possibilités. Rentrer à Yaqut avait semblé la seule issue durable...
Elle descendit les gigantesques escaliers de marbres noirs menant dans le hall du palais. En bas l'attendaient certaines de ses suivantes, toutes vêtues de noir et de rouge, le teint pâle et l'air vicieux. Elle n'appréciait guère d'être entourée de ces femmes assoiffées, se délectant du sang humain et faery sans le moindre scrupule. Mais son père approuvait cet entourage et, garant de sa sécurité, il était celui qu'il s'agissait de satisfaire. Ses suivantes s'inclinèrent lorsqu'elle arriva en bas des marches et l'une d'entre elles, Sierra, fit un pas en avant pour lui annoncer le planning de la journée.
- Miss Karenn, votre père vous fait savoir qu'il vous attendra à dix heures aujourd'hui au marché central pour vous procurer vos proies personnelles. A midi, vous serez attendue pour un déjeuner protocolaire dans la grande verrière, Monsieur désire votre... présence.
Karenn serra les dents mais ne laisse rien paraître de son agacement. Acheter des proies, se nourrir sur du vivant, être un objet d'exhibition lors de repas diplomatiques menés par son père le seigneur Raum de Yaqut dans le cadre de relations avec les daemons et leurs alliés. Voilà ce qu'avait été son quotidien depuis son retour dans le giron familial. Cette décision était stupide, surtout pour quelqu'un d'aussi épris d'indépendance qu'elle-même, mais elle avait été la seule valable. Renoncer à sa liberté pour survivre. Elle ignorait ce qu'il était advenus des autres de la garde – ce qu'il était advenu de Chrome... - mais elle n'imaginait pas une situation plus reluisante que la sienne. Au moins avait-elle un toit au-dessus de la tête. Et une sécurité largement assurée tant que Raum maintenait de bonnes relations avec les daemons en participant largement à leur commerce d'esclaves, pour la plupart de pauvres hères ou des résistants facilement brisés. Depuis que Karenn avait eu ses dix-huit ans – c'est-à-dire quelques mois auparavant – son père envisageait régulièrement de nouvelles alliances assurée par un contrat soudé par les liens sacrés du mariage... Elle savait pertinemment que c'était dans ce cadre qu'il demandait de plus en plus sa présence lors de déjeuners protocolaires. Son père exposait sa fille comme il exposait ses esclaves et ses autres marchandises.
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Eldarya est tombée
FanficNous connaissons tous l'issue de la saison 1 d'Eldarya. Mais que ce serait-il passé si l'ultime action d'Erika avait échoué ? Si le cristal n'avait pas été restauré ? Si quelqu'un, derrière tout ce massacre, attendait son heure ? N.B : il est préfér...