Chapitre 1

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Il n'était sans doute rien de plus sombre, que la nuit épaisse et froide dans la jungle ; rien de plus glaçant que de s'y retrouver entouré par les bruits des animaux nocturnes ; rien de plus inquiétant, que d'être témoin de la vie secrète des arbres, que l'on jurerait entendre respirer. Une capuche sur ses cheveux noir et une lanterne à la main, il avançait pourtant dans la faible lueur de la bougie ; n'y voyant donc pas si clair. Il était venu seul, refusant de passer une fois encore pour un original ; pour un fou. Sa vision avait été claire, limpide et lui avait glacé les sangs. Il se devait d'agir. Peut-être parviendrait-il à changer quelque chose, cette fois. Le plus probable fût toutefois, qu'il arriverait tout de même trop tard ; comme souvent.

Bruno Madrigal s'arrêta face à un immense céroxyle de Quindéo, suivant le tronc du regard, jusqu'à perdre son regard dans la noirceur opaque de son feuillage. À l'instant, il hésitait. Jusqu'ici, tout se suivait parfaitement ; comme il l'avait vu plus tôt. Inspirant profondément, il prit sur la gauche du palmier, tendant l'oreille ; à l'affût du moindre bruit, avant d'en émettre un lui-même.

Taisez-vous, je ne m'entends même plus penser... maugréa-t-il, la tension dans sa voix montant d'un cran, alors que les rats cachés dans son ruana piaillaient davantage., Je sais que c'est dangereux ! Mais je dois le faire..., Agitant sa lanterne de gauche à droite, se prémunissant ainsi contre une potentielle mauvaise surprise, il murmura., Où êtes-vous ?

Et soudain, déchirant le silence de la nuit sauvage, des pleurs d'enfant non loin de lui. Son sang se figea dans ses veines et le souffle lui manqua. Bruno s'engagea dans cette direction sans plus d'hésitation, pressant le pas tout en psalmodiant quelques silencieuses prières ; espérant ne pas arriver... Trop tard !

Madre de Dios..., Souffla-t-il avec détresse, trahissant son impuissance face à la situation ; face à son propre pouvoir.

Serait-il donc toujours voué à être lié au malheur ? Ne lui accorderait-on que de joyeuses intuitions qu'en de rares occasions ? Il semblerait qu'il soit à jamais obligé de détester cette part de lui-même ; ce miracle. Bruno, le porteur de malheur. Sa vision se tenait devant lui, en une triste réalité, sur laquelle il eût vainement tenté d'avoir une ridicule emprise.

Une petite fille se tenait là, ses longs cheveux noirs ondulant come des vagues sauvages jusque dans le bas de son dos, et masquant ses yeux. L'enfant respirait la détresse des exilés de force. Ses vêtements avaient vu des jours meilleurs, sa peau était marquée par la poussière du voyage, mais elle n'était en rien repoussante. Les sanglots de la petite fille étaient presque devenus silencieux ; comme si elle n'avait même plus la force de pleurer. Frénétiquement, ses lèvres remuaient pour former le même et unique mot : Mama. Aucun son, pourtant, ne sortait de sa bouche ; aucun autre mouvement ne lui parvenait ; elle était telle une statue de sel.

Niña..., Osa alors le fils Madrigal, tout en tendant une main vers l'enfant sidérée, autant qu'impuissante.

Délicatement, pour ne pas l'effrayer, il posa sa main sur sa petite épaule frêle et terriblement osseuse ; la malnutrition faisait déjà son chemin en ce petit être, qui ne devait pas être plus âgées que ses deux nièces. Il n'en fût pas surpris, il le savait ; il l'avait déjà vue. Il savait également, qu'il aurait beau secoué la jeune femme allongée à quelques pas d'eux, semblant comme endormie, elle ne réagirait pas ; elle ne réagirait plus jamais. Lentement, il rapprocha la gamine de lui, la sentant un instant se crisper, tout en serrant son doudou contre elle, avec la force du désespoir.

Viens avec moi, niña. C'est fini. Tout est fini., Tentait-il de la rassurée, tout en voulant se rassurer lui-même. Après tout, Bruno devait lui-même faire le deuil de son utopie ; celle d'avoir souhaité sauver la mère de la fillette., Tu seras en sécurité, maintenant.

Et les étoiles brillaient...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant