L'autre côté du lac (écriture et sport)

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Tu te jettes dans l'eau depuis le balcon de ton chalet

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Tu te jettes dans l'eau depuis le balcon de ton chalet. Une chute de trois ou quatre mètres, tête première. Tu n'as peur de rien. Tu brises la surface presque sans bruit ou éclaboussures. Nathan est déjà sur son paddleboard, veste de flottaison et chronomètre en main. Tu remontes et nages vers lui pour prendre tes lunettes. Tu ne t'arrêtes jamais. Tu ne peux pas. Un athlète comme toi ne peut pas se permettre de se reposer, surtout pas en vacances. Tu ris quand ton ami balance quelque chose que je n'entends pas, même si l'écho de vos voix se répercute sur les montagnes autour de nous. La star de l'équipe de soccer et le nageur vedette de l'école. Vous formez la paire idéale, deux frères.

Tu commences ton tour du lac dans le sens horaire. Ta technique est parfaite, mais tu es un peu plus lent que d'habitude. Les mouvements de ton bras gauche sont raides, de moins grandes amplitudes et tes battements de pieds sont moins souples. Quand tu es dans l'eau, aucune distraction n'est permise, pas même la douleur. Un vrai professionnel. Tu mets douze minutes à passer devant mon chalet. Nathan ralentit quelques secondes pour saluer mes parents, assis sur le quai, leur tasse de café en main. Trois minutes plus tard, tu t'arrêtes. Pourtant, il te reste encore le tiers du lac avant de rejoindre l'échelle qui mène à ton balcon. Tu fais demi-tour et te hisses sur la planche en serrant les mâchoires, presque à bout de souffle. Nathan stoppe le chronomètre et te demande si tu regrettes les événements de cette nuit. D'ici, je peux voir que tu es couvert de bleus. Qu'est-ce qui s'est passé hier soir ?

— Je suis sûr qu'une fille se ferait un plaisir de masser ton épaule, Alex.

— D'un, deux Advil, ça fera l'affaire. De deux, ne crie pas, on va t'entendre trois lacs plus loin.

— Je crie pas, je parle fort, nuance. En plus, je pense que la fille du chalet en bois rond se porterait volontaire...

Je n'ai pas le temps de m'indigner que tu le pousses à l'eau, lui et sa grande gueule. Un vrai chevalier servant. C'est chiant que tu sois aussi parfait.

***

Je fais rouler mon épaule douloureuse. Dans le chalet, les autres continuent de se payer ma tête. Escalier : 1, Alex un peu saoul : 0. Je sors sur le balcon pour prendre l'air. Je n'entends rien sauf mes amis à l'intérieur ainsi que les craquements d'un quai. Je regarde vers l'autre côté du lac et souris.

Je ne m'attendais pas à te voir, mais tu es là, assise près de la barre que tes parents ont mise en place l'été dernier. Tes écouteurs te rendent sourde au monde qui t'entoure, me rendent invisible à tes yeux. Tu enfiles tes demi-pointes et t'installes, dos à moi. Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi fort que toi. Ton corps reste parfaitement droit, malgré les mouvements du quai. Tu répètes tes positions comme une chanson apprise par cœur, une main sur la barre. Tu t'arrêtes, enlèves ta veste sur laquelle ton nom, Rose, est brodé, et refais ton chignon. Puis tu recommences, cette fois, face à moi. Je me recule pour être dans l'ombre des arbres. Tu détestes le public. Tu danses toujours quand tu crois que personne ne te regarde.

Tu lèves les bras, plies les genoux, tends la jambe. Jamais une erreur. Tu connais tes variations sur le bout des doigts.

Tu prends une autre pause rapide, juste le temps d'enlever ta combinaison et d'enfiler tes pointes. Tu passes une jupe par-dessus ton justaucorps noir et saisis ton téléphone, probablement pour changer ta playlist avant de te réinstaller. Penché, arabesque, plié rond de jambe, battement, tous tes mouvements sont impeccables, magnifiquement exécutés. Comment fais-tu pour ignorer la douleur ? J'aimerais être plus près pour voir ce sourire qui te vient naturellement à chaque nouveau pas, comme si rien au monde ne pouvait t'ébranler. J'aimerais avoir ton endurance, ta précision et ta détermination pour avoir l'air aussi professionnel que toi. Je voudrais être à ta hauteur, être aussi parfait que toi.

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