- Bah vas-y Victor ! À moins que tu n'aies peur ?
Il hausse un sourcil, de manière provoquante.
Son regard de canaille est braqué sur moi. Sans doute dans l'attente que je me défile, il fouille mon regard à la recherche de la moindre trace d'anxiété.
Sa tête me dit quelque chose. Son air suffisant aussi. C'est un de mes amis de collège, où plutôt, l'une des nombreuses personnes peu fréquentables avec qui je me suis accoquiné durant cette période.
Il est assis sur un muret, me regardant de haut. La faible luminosité et l'ambiance nocturne qui règnent ne font que renforcer le sentiment de dangerosité qui émane de lui.
Les autres garçons, eux, me dévisagent sans rien dire. Ce ne sont que des suiveurs sans caractère qui m'ont rejoint par crainte.
Mes doigts se resserrent autour de la bouteille que je tiens dans mes mains. La forte odeur qui s'en dégage me pique les narines.
On raconte que boire fait oublier. C'est peut-être ça la solution. Oublier. Oublier que je ne mérite pas le droit de vivre. Je ne suis qu'une brute.
Alors, je porte le goulot à mes lèvres, et vide d'un trait le liquide restant de la bouteille. Le gout est affreux. Ma gorge est en feu.
On m'acclame. Je ne vois pas vraiment ce qu'il y a d'incroyable à la situation, mais bon. Si ça leur prouve que je suis une terreur.
Mon provocateur, lui, frappe lentement ses mains.
- Waouh, c'est que je suis impressionné, ironise-t-il.
N'y tenant plus je l'attrape par le col et le soulève jusqu'à ce que ses pieds ne touchent plus le sol.
- Ferme-là.
Nous restons un moment, comme ça, à nous regarder en chiens de faïence.
- C'est... bon, articule-t-il, étranglé. Tu peux... me... lâcher, Vic'.
Je le laisse retomber. Les autres me regardent avec admiration. Mais contrairement à ce qu'ils ont l'air de penser, le visage du garçon n'exprimait ni angoisse, ni abandon. Seulement le plaisir malveillant d'avoir réussi à m'énerver.
Ce gringalet est bien plus redoutable qu'il n'y paraît. C'est un habile manipulateur, qui mériterait bien plus que moi d'être craint. Il est un cerveau, je ne suis qu'une brute.
- Souhaitez-vous me raconter votre souvenir ?
Cela fait plusieurs minutes que j'ai repris mes esprits, et que je cherche un sens à ma précédente vision.
Mme Perret se tient toujours à mes côtés. Elle semble rassurée que je n'aie pas fait de crise aussi violente que la dernière fois, même si je dois avouer être toujours sur les nerfs.
Je finis, calmé, par répondre à la chercheuse.
- J'ai compris pourquoi l'alcool me dégoutait autant.
- Ha ? Pourquoi, alors ?
- J'en ai bu pour la première fois quand j'avais... (Je ferme les yeux eux afin de visualiser un peu mieux la scène.) Aux alentours de quinze ans. Je crois que c'était pour un défi. J'étais avec des amis...Enfin, amis est un grand mot, ils avaient juste peur de moi et préféraient être à mes côtés plutôt que d'être harcelés, j'imagine. Et puis, il y avait aussi un garçon, celui qui me poussait à boire en me traitant de mauviette.
Elle hoche la tête.
- Comment s'appelait-il, ce garçon ?
- Je... (Je fronce les sourcils) Tim, il me semble. On se connaissait depuis quelques années. C'est d'ailleurs le seul qui n'avait pas peur de moi, dis-je, repensant à son expression de triomphe à la fin de notre prise de bec.
- Pourquoi avez-vous cédé à ses provocations ?
Il n'y a aucune colère dans ses questions, elle tente juste de faire tout son possible pour me permettre de me rappeler un maximum. Décidemment, c'est vraiment quelqu'un de bien.
- J'imagine que je ne voulais pas passer pour un faible, je voulais prouver quelque chose. Et aussi... Je crois que je voulais oublier que j'étais un moins que rien. Que j'étais une brute.
Le visage de Mme Perret se teinte de douceur.
- Ne dites pas ça. Je suis sûre qu'il y a une raison à ce que vous dites, vous n'y êtes probablement pour rien. D'ailleurs...
- D'ailleurs quoi ?
- Rien. Juste une théorie.
- Dîtes-moi !
- Ce n'est pas important. Concentrons-nous plutôt sur l'essentiel.
Elle me cache quelque chose. Je n'insiste pas plus, ça ne servirait à rien. Je lui jette un regard signifiant très clairement que je ne la crois pas.
Je décide de changer de sujet afin de ne pas bloquer la conversation plus longtemps.
- Pensez-vous que je pourrai essayer de travailler moi-même sur ma mémoire ? Enfin, non pas que je ne veuille plus de vous, plutôt pour lorsque vous n'êtes pas là...
Elle m'adresse un grand sourire.
- Eh bien, étant donné que vous êtes parvenu à vous maîtriser aujourd'hui, je ne vois pas pourquoi je vous le refuserai ! De toute façon, je doute que vous preniez compte d'une potentielle interdiction, je me trompe ?
- Décidemment, vous m'avez bien cerné !

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Fragiles Ailes de papillon
Conto/cette histoire va avec "à des années lumières", à lire avant, après, ou jamais/ Un homme avec des trous de mémoires ? Que peut-il bien se cacher derrières ses souvenirs arrachés... (Ouais, j'ai pas d'idée pour le résumé, je reviendrais dessus un de...