« Tu as éveillé quelque chose d'intense au fond de moi »
Les phrases fleurissaient sous ma plume, d'une idée bourgeonnante avaient déjà prospérées dix-huit pages de scripts, de dialogues et de didascalies. Il m'arrivait souvent de revenir sur un rythme, une intonation, une tournure, aussi mes parchemins se pigmentaient d'annotations en tous sens. Mais je ne m'inquiétais guère, j'avais encore le temps d'affiner mon œuvre. Je soufflai en silence, parfois le bourdonnement d'un tapage sous le plancher me faisait perdre le fil de mes pensées.
La porte de l'entrée craqua subitement sur ses gongs. La silhouette d'Hirose apparut dans l'encadrement avant de franchir le seuil dans une démarche plus disgracieuse que celle d'un troll de Freljord. Elle referma la porte avant de m'adresser un sourire gêné. Chancelante, elle s'avança jusqu'à l'avant de mon bureau. Son corps en quête d'équilibre et les déplaisantes vapeurs d'alcool qu'elle exhalait attestaient d'une ivresse évidente. S'accoudant sur le bureau, elle m'adressa un regard insistant emprunt d'hésitation et, profondément exaspéré, je ravalai une remarque fâcheuse.
« Je dois t'annoncer quelque chose... commença-t-elle. Mais, promets-moi de ne pas te mettre en colère...
— Diable ? Me suis-je déjà mis en colère contre toi ? m'étonnai-je, à la fois intrigué et méfiant.
— Je ne vais pas tourner autour du pot, j'ai recruté des acteurs pour ton spectacle. »
J'éclatai d'un rire nerveux.
« C'est une plaisanterie ? »
Ses épaules s'affaissèrent sous le poids de mon regard.
« Allez, je suis sûre qu'ils feront l'affaire, tu les as vu à l'œuvre ?
— Ce n'était qu'une scène de rue... Que dis-je ? La fin d'une scène !
— Mais ! On peut juste faire un essai, et s'ils ne font pas l'affaire, tu les congédies, ce n'est pas si compliqué... »
Le timbre de sa voix s'était enrayé, désagréable, et tout en l'écoutant argumenter, je m'enfonçai dans mon siège pour contenir la colère que sa désobéissance excitait dangereusement dans mon fort intérieur. J'expirai lentement, cherchai le contrôle, puis je saisis Murmure qui se tenait à ma portée, fis tourner la gâchette autour de mon index, au rythme des turbulences que ses paroles faisaient graviter sur mon âme. Intolérables. Je l'entendais mais ne l'écoutais plus. Lorsque je stoppai l'inertie d'un mouvement sec, la crosse se cala dans ma paume et le canon se dressa droit sur Hirose.
« Je... balbutia-t-elle. J'aimerais faire partie de la pièce, moi aussi... »
Ses derniers mots me désarmèrent sur le coup. Tout mon être se crispa, entaillé à vif par les lames glaciales d'un dilemme auquel je tentais de me dérober depuis de longues semaines. Et elle gloussait insolemment, comme grisée par cette idée.
« Hirose, tu es ivre.... soufflai-je. »
Elle se pencha vers moi, déterminée :
« Aussi chargée que ton arme, mais ce n'est pas une raison pour prendre mes paroles à la légère ! »
Son regard me sondait tandis que je tentais de saisir à quel point son esprit était avisé. Et pourtant c'était peut-être moi qui manquait de lucidité : le doute m'étreignait encore. Étais-je capable de l'assassiner, elle ?
« Cesse ta comédie. Tu es une peintre remarquable, mais ta place n'est pas sur scène. »
Elle s'indigna face à mon indélicatesse, hélas, je ne pus m'en étonner. La naïveté qu'elle inspirait n'était qu'un trompe-l'œil. Si la grande majorité des individus manquait de discernement, ce n'était pas son cas. Même dans l'ivresse.
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L'art mérite que l'on souffre [ Jhin • League Of Legends ] (Terminée)
HorrorUne paix fragile règne sur la région ouest de Zhyun à Ionia. Dans ses contrées reculées, une jeune peintre que la vie a dévasté se confronte au vide abyssal de son inspiration. Sur sa toile, ses médiocres ébauches n'ont d'égal que la fadeur de son â...