Acte I - Scène 1

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« L'art préexiste à la raison »

De toutes les nuits de mon existence, il en était une qui me hantait encore. Une secousse brutale qui enflamme mon paisible foyer, mes deux sœurs et mon frère, tout juste plus âgés que moi, mes chers parents... Notre vie fut brisée par l'assaut d'un groupe de bandits sanguinaires. Je m'étais recroquevillée au milieu du salon, les yeux clos, les mains braquées sur mes oreilles pour tenter d'échapper un instant à ce carnage. Les lames sifflaient avant de trancher l'air puis la chair. Je ressens encore la chaleur du sang qui jaillissait sur mes joues humides. L'odeur me pénétrait si profondément qu'elle m'en arrachait les tripes. La terreur me clouait au sol, m'obligeant à assister à ce macabre spectacle. Ma vie basculait dans une violence qui dépassait mes pires cauchemars. Les êtres les plus chers à mon cœur avaient en quelques secondes été réduit un tas de morceaux de chairs découpés baignant dans leur sang. 

De la chair et du sang, rien de plus, c'était que ce que nous étions tous : de la viande répugnante et nauséabonde. Et alors que j'attendais mon tour, terrifiée et immobile, alors que chaque partie de mon corps tremblait à en faire s'effondrer le plancher, les agresseurs se contentèrent de piller notre maison sans me prêter attention. Pourquoi ?!

Je m'éveillai en sursaut, le cœur affolé par ce lointain souvenir. Je tâtai mes joues. Elles demeuraient sèches. Tout autant que mon âme. Le soleil n'était pas encore levé, mais je n'avais nul besoin de son approbation pour quitter mon lit. D'un geste machinal, j'attrapai la veste marron rapiécée pour couvrir mes épaules. Elle n'était pas très épaisse, mais en ce matin de début d'automne, elle me tenait juste assez chaud par dessus ma robe de nuit. J'enfilai rapidement mes grosses chaussures d'intérieur usées pour affronter le vieux parquet glacial et humide et sortis de la pièce pour rejoindre le salon, qui faisait également office d'atelier. 

Je me laissai tomber sur le tabouret face à la toile que j'avais abandonné la veille : fade, banale, inexpressive... un soupir m'échappa. Mes créations étaient insignifiantes. Pour une raison qui m'était étrangère, Ionia m'avait fait don d'un pouvoir extraordinaire, un don auquel je devais la vie : celui de me dissimuler de n'importe quel regard aussitôt que je le décidais. Pourtant, je n'étais qu'une artiste sans importance plongée dans l'anonymat, je n'avais guère besoin de m'effacer davantage. Et je regrettais parfois que l'Ordre Kinkou m'ait refusée dans ses rangs. Le vieux se trompait sans doute à mon propos, je n'étais pas faite pour la peinture.

« Matinale... »

Lyang m'observait, l'air impassible. Un sourire ajouta quelques rides sur son visage déjà marqué par le temps.

« Qu'est-ce qui ne va pas avec celle-ci, à ton avis ? lui demandai-je en désignant mon abjecte création d'un signe de tête. »

Sa main se posa doucement sur mon épaule et je savais déjà ce qu'il allait dire.

« Qu'as-tu exprimé dans cette peinture, Hirose ? »

Mon silence fut une réponse.

« Je n'ai rien à exprimer... soupirai-je. Je me sens... vide. »

Lyang désigna du doigt la toile qui ornait le mur devant la porte d'entrée. Ma première œuvre après qu'il m'ait ouvert les portes de sa maison : un tableau rouge, aussi vif et profond que mon dégoût envers ce monde, envers la race humaine, envers l'impunité de notre société. A cette époque, une riche palette d'émotions avait saisi mon âme et peindre avait été un moyen d'en extraire l'essence. Peut-être qu'après dix-huit années à exorciser ma rancœur, il n'en restait finalement plus rien.

Rien de nouveau sous le soleil Ionien. Je passai ma journée à aider le vieux dans ses tâches ménagères et administratives auprès de ses clients, évitant soigneusement de me confronter une fois encore à la médiocrité de mon inspiration.

L'art mérite que l'on souffre [ Jhin • League Of Legends ] (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant