Acte III - Scène 4

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« J'envie le silence... je suis condamné au bruit »

L'océan sans commencement, sans fin, déferlait inlassablement sous la proue. L'Indomptable déployait ses trois mâts majestueux et ses voiles s'étiraient de toute leur envergure sous la force du vent iodé. Accoudée au garde-corps, je savourais sa caresse glaciale qui enroulait sauvagement mes cheveux, les agitait devant mes yeux comme un étendard furieux de franges rouges. Mes pieds avaient trouvé l'équilibre sur le balancier du plancher et mon corps tout entier avait épousé le rythme du roulis incessant. 

Inspirée, je tendis une main vers les flots pour en soutirer quelques filets, ressentir du bout des doigts jusques dans ma paume la densité et la composition de l'eau. La compréhension de son essence affluait à mon esprit, aussi limpide qu'un matériau à sculpter et la magie que je lui insufflais redescendait dans sa plasticité, fusionnait dans ses mouvements pour façonner des reliefs éphémères. 

« Quelle inconvenance... »

La voix de Jhin s'était perdue dans un soupir agacé. Je me tournai vers lui et dissimulai un sourire face à sa tentative de garder une démarche distinguée malgré les oscillations du plancher.

« Tu as acheté toutes les places sur ce navire, il n'y a personne à impressionner ici... A part un vieux capitaine bourru... »

Jhin s'approcha et réajusta la fourrure blanche de ma cape hivernale.

« Et il y a moi, très chère. J'aime quand tu es élégante.

– Humm, je promets d'y accorder plus d'importance, mais avant, regarde un peu ça ! »

Tandis que Jhin, exaspéré, levait les yeux au ciel, je me penchai en avant, la poitrine plaquée au bastingage, les deux bras tendus au-dessus des flots. Je canalisai mon énergie pour tirer à la dérive un grand volume d'eau salée. Contre la gravité, elle cascada vers le haut, volta par-dessus la balustrade avant de se dissocier en quatre courbes tourbillonnantes. Malléables, elles cédèrent à ma demande, ondulèrent en colonnes, en arcs, puis s'assemblèrent en une sculpture représentant Jhin dans une posture lyrique ornée de lotus fleurissants.

Le regard stupéfait de Jhin sur mon œuvre détourna ma concentration l'espace d'une seconde et la sculpture explosa sur le coup. Une onde glacée m'arracha une aspiration dans un sursaut de panique. Face à moi, Jhin ruisselait de la tête aux pieds, le corps raidi comme un bloc sous le choc thermique. Il se terra dans un profond silence. Un silence qui en disait long.

« Je suis désolée ! »

Je m'empressai d'aspirer jusqu'à la dernière goutte infiltrée dans nos cheveux et nos vêtements, pour la raccompagner par-dessus bord. 

Jhin épousseta son manteau dans un long soupir.

« Allez, dit-il en posant sa main dans mon dos. Rentrons...

— Ça t'a plu ? Avoue...

— Tu veux dire, avant d'être aspergé ?

— Arrête ton char, je sais que ça t'a plu ! »

Jhin se tourna brusquement vers moi, me plaqua contre une haute caisse de provisions.

« Je te trouves bien audacieuse de t'adresser à moi de la sorte !

— Ca mérite une correction ?

Tu te joues de moi ? »

Son corps s'écrasa contre le mien. Sous ses sourcils bruns froncés, ses yeux ambrés me fusillèrent et je l'imaginais, avec ce même regard, si dur, m'allonger sur les lames du plancher humide et chavirant, braquer le canon de son fusil en joue, prêt à tirer par salves de quatre, le souffle suspendu aux lèvres... Ses lèvres, j'avais envie de les goûter, de les savourer encore et de glisser ma bouche humide avec indécence le long de son cou, plus bas encore jusqu'à le sentir frémir, désarçonné, rendre les armes.

L'art mérite que l'on souffre [ Jhin • League Of Legends ] (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant