֍ Pour prendre sa place (2)

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Manteau et Couteau

    La photographie datait de ses débuts. Il n'était alors qu'un adolescent lancé dans quelque chose de trop grand pour lui, avec pour seuls soutiens ses yeux étranges et sa rage dévorante. Camille ne pouvait concevoir que ce n'était que deux ans plus tôt. Le petit voleur qui s'était introduit dans la maison du principal de son lycée n'avait rien en commun avec celui qu'il était devenu. Et tout ça était de sa faute à Elle.

    Camille arriva enfin chez lui. Ses mèches blondes avaient totalement réapparu, mais il avait des choses bien plus importantes à faire que de les recolorer. Après tout, cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas vu son vrai visage. Il se sentit étrangement bien. Il était juste que tout finisse comme cela avait commencé, deux ans plus tôt. Sans déguisement, sans subterfuge. Juste lui.

    Et puis, Naelle avait les même cheveux. Il se souvenait bien que c'était la première chose qui l'avait frappé chez elle. Ses cheveux de la teinte exacte de ceux de Camille. Ils se ressemblaient tellement qu'elle avait fini par croire qu'elle était aussi forte que lui. Et elle en avait payé le prix. Mais Camille lui aussi avait payé, toute cette douleur, toutes ces larmes. Il était temps qu'Elle paye à son tour.

    Camille savait tuer avec tout. Il avait eu le temps d'apprendre, et il était un si bon élève. Deux ans, une éternité. Mais il savait quelle arme il lui fallait. Il fallait que tout finisse comme cela avait commencé. Tout n'était qu'un cycle, et Camille savait qu'il ne pouvait le briser. Il devait se fondre dans le cercle, tourner avec lui pour en faire partie. Il n'avait fait qu'un choix, celui de commencer. Il ne pouvait plus arrêter.

    Alors il lui fallait ce couteau. Il savait exactement quoi chercher. Il revoyait les moindres détails. L'infime courbure de la garde. Les plus petits entrelacs décoratifs. Jusqu'aux imperceptibles rayures sur la lame, lorsqu'elle avait mis fin à son innocence. Ce couteau était la seule et unique raison pour laquelle il avait traversé la moitié du monde afin de venir dans cette petite ville oubliée. Il leur appartenait, à lui et à Elle, et pas à un minable armurier. Il faisait partie du cercle. Et Camille allait le récupérer.

    Il changea de manteau, le sien étant plein de boue. Ici encore, il ne fit pas de choix. Il ne pouvait pas en prendre un autre. Il devait revêtir celui qu'il portait la nuit où tout avait basculé. Ce long pan de tissu d'un bleu si profond qu'on aurait dit la nuit elle-même. Il ne l'avait pas remis depuis, il ne s'en était pas senti le droit. Pas même les autres fois où Elle était apparue, parce qu'Elle venait juste pour le taquiner. Cela ne faisait pas partie du cercle. Mais cette nuit allait en faire partie, elle. Ce manteau, comme le couteau, comme les mèches blondes, appartenait au cercle.

    Camille n'oublia pas son parapluie. La pluie était son arme à Elle, il le savait. Il ne pouvait pas La laisser le toucher. Pour Naelle. Pour le cercle.

    La pluie était son ennemie, pourtant elle l'aida en calfeutrant les habitants chez eux. Maintenant que sa teinture avait disparue, il ne pouvait plus se reposer sur son déguisement, et il risquait de se faire arrêter. Mais au fond de lui, Camille savait que personne ne l'arrêterait. Car il fallait que cela se passe comme prévu. C'était écrit dans les étoiles. C'était un cercle, infini.

    L'armurier habitait une jolie maison dans le quartier riche de la ville. Camille était bien sûr passé plusieurs fois par là, poussé par l'envie de reprendre à cet ignorant la relique. Mais il savait qu'il fallait attendre le bon moment. Et maintenant que le moment était venu, il avait un peu peur. Va le chercher, va le chercher. Il n'avait pas le choix. Il n'avait plus le choix depuis si longtemps.

    S'introduire dans la bâtisse était ridiculement facile pour Camille. Non pas qu'elle soit mal protégée, bien sûr. L'armurier avait de quoi se payer une bonne sécurité. Mais Camille aurait pu entrer seul dans le coffre fort de n'importe quelle banque et en ressortir sans se faire remarquer. Il aurait pu utiliser sa force, cette force qu'il avait volée aux innocents comme aux coupables - mais pas à la vraie coupable, pour amasser les trésors, comme l'auraient fait un bon nombre d'autres humains. Le seul trésor qui intéressait Camille reposait dans un coffre en bois chez l'armurier.

    Camille évitait de se mêler aux humains. Non pas qu'il n'en était pas un. Mais il était tellement plus. Il était le monstre des ténèbres et l'ange de la mort. Il était un fantôme lorsqu'il passa la porte d'entrée sans déranger la moindre feuille morte. Il était un simple souffle lorsqu'il traversa le couloir en caressant les armes entreposées. Il n'était même pas matériel lorsqu'il entra dans la salle qui servait d'entrepôt.

    Son grand manteau de nuit flottant autour de lui alors qu'il n'y avait pas de vent, il observa l'armurier assis à son bureau. Cet homme n'était pas foncièrement bon comme la boulangère. Il trichait sur ses livres de comptes, mentait à ses clients, trompait sa femme et méprisait ses enfants. Les yeux d'éternité de Camille, ces yeux qui pouvaient trouver l'âme des gens, distinguaient l'aura grisâtre qui environnait l'homme.

    Sans ses yeux, Camille n'aurait pas survécu aussi longtemps. Il n'aurait pas compris le cercle. Il ne l'aurait pas attirée, Elle. Il n'aurait pas condamné Naelle. Maintenant, ces yeux lui servaient à la venger.

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