֍ Pour prendre sa place (1)

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Camille vivait avec sa jolie fiancée dans une petite maison en France.
Puis Elle est entrée dans sa vie.
Deux ans après, il est temps de boucler le cercle.

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Partage et Orage

    Camille se levait tous les jours très tôt. Comme tout les étudiants, à vrai dire. Mais certains profitaient du weekend pour rattraper leur sommeil en retard, tandis que Camille était debout à la même heure que la semaine. Cela explique donc pourquoi ce samedi, il sortit en direction de la boulangerie alors même que le soleil, lui, faisait encore la grasse matinée.

    Il n'était arrivé dans cette partie très reculée des Etats-Unis que depuis peu, mais la plupart de ses camarade connaissaient déjà son amour pour le pain. Ils s'étaient pas mal moqués de lui, cependant Camille était fidèle à ses origines françaises et ne manquait jamais une occasion de goûter aux produits de la boulangère avec laquelle il s'entendait sacrément bien. Il était d'ailleurs fort dommage que leur différence d'âge soit si importante, selon lui.

    Le vent jouait avec les feuilles mortes et les petites flaques entre les pavés de la rue se solidifiaient doucement. Pourtant, l'hiver était encore loin et la saison des citrouilles et de la cannelle aurait du durer plus longtemps. Ses parents auraient pesté contre le changement climatique. Camille, lui, resserra son écharpe autour de son cou en se disant qu'il n'était vraiment pas le moment de tomber malade.

    Il continua son chemin qui serpentait entre des rues commençant à devenir plutôt familières. Camille voyageait beaucoup et il avait appris à reconnaître le moment où les lieux n'étaient plus catalogués comme étranger. Généralement, cela voulait dire qu'il était temps de faire ses valises. Mais pas cette fois-ci, avait-il décidé.

    Les passants le saluaient d'un geste de la main sans pour autant s'arrêter faire la conversation. Le froid naissant n'en était pas la seule cause, Camille le savait bien. Tous étaient mal à l'aise en sa présence. Cela se lisait dans leurs regards fuyants ou leurs gestes saccadés pour regarder leur montre. Tous attendaient le moment où prendre congé ne serait pas impoli. Cela n'aidait pas Camille à s'intégrer, évidemment, mais il n'en avait cure : il ne cherchait pas un nouveau foyer, le seul qu'il n'aurait jamais attendait son improbable retour sur le vieux continent.

    Pourtant, Camille sentait qu'il aurait pu se plaire dans cette petite ville. Ici, le temps semblait s'être figé avant l'industrialisation, et l'unique boutique vendait plus de chandelles que de lampes. Comme pour illustrer ses pensées, Camille passa devant le bureau du shérif. Sur le mur étaient placardés divers avis de recherches auxquels il ne semblait manquer que l'inimitable WANTED pour se retrouver dans un film historique. L'un d'eux détonnait cependant, le papier étant plus éclatant que le jaune moisi de ses compagnons. Le traditionnel dessin au fusain avait été remplacé par une photographie, certes floue mais en couleur, d'un jeune homme blond au regard fatigué.

    Une bourrasque manqua de renverser Camille et lui fit hâter le pas. Il aurait été plus pratique pour ce français de cœur de louer une chambre près de la boulangerie, mais la seule auberge de jeunesse de la ville était bien loin. Certes, cela le rapprochait de l'arrêt du bus universitaire, mais Camille aurait largement préféré marcher plus le matin et pouvoir déguster son pain chaud. Tant pis.

    Enfin arrivé, il fit un grand sourire à la vendeuse. Elle était l'une des seules personnes qui lui manqueraient. L'une des seules que son regard, d'un noir si profond que la pupille se fondait dans l'iris, ne dérangeait pas. Et il fallait avouer que ses pâtisseries ressemblaient presque à des originales.

    Elle le connaissait si bien qu'elle lui tendit sa commande avant même qu'il n'exprime son souhait. Un samedi bien venteux et pluvieux à souhait ? Rien de tel qu'un croissant. Et au beurre, bien sûr ! Comme toujours, il la reprit sur sa prononciation et ils s'esclaffèrent. Camille aimait bien son rire, il était sincère, et rares étaient les rires sincères. Camille était bien placé pour le savoir. Aucun hypocrite ne pouvait le berner, aucun menteur le mener en bateau. Cela n'empêchait pas ceux qui ne le savaient pas d'essayer. Et de rater.

    Oui, elle était fondamentalement une bonne personne. Cela embêtait Camille, bien sûr. Il ne s'attachait pas aux bonnes personnes. Il fuyait les gentils, il ignorait les généreux. Mais tout était bientôt fini, et il ne voulait surtout pas manger son pain seul, alors il laissait cette jeune femme meubler ses samedis matins.

    Elle finit par lui souhaiter une bonne journée. C'était toujours elle qui mettait fin à leur discussion. Elle avait des clients à servir, bien sûr, alors que qu'avait donc Camille à faire ? Il abhorrait sortir avec d'autres jeunes ; quand à travailler, quelle perte de temps : il ne pourrait de toute façon pas finir son année universitaire décemment. L'été, il était allé se balader près du lac. Le paysage y était apaisant. Mais maintenant, il faisait bien trop froid. Trop froid, trop tôt dans l'année. Finalement, Camille se dit qu'il n'était pas plus mal que la femme écourte leur bavardage. Il devait se préparer.

    En sortant, il remarqua qu'il s'était mis à pleuvoir. Les ruisseaux qui lui coulaient sur le visage nettoyèrent les miettes du croissant doré de la boulangère, effaçant le souvenir de la chaleur et de la joie. Camille fixa le ciel en regrettant de ne pas avoir pris de parapluie. Les gouttes trempaient ses vêtements, et même après toutes ces années, Camille détestait avoir une apparence négligée. Les vieilles habitudes étaient tenaces, selon lui.

    En refaisant le chemin inverse, il rédigeait mentalement une liste des choses qu'il lui faudrait. Ses finances déjà amaigries par ses petits déjeuners n'allaient peut être pas suffire. Camille savait que sa gourmandise allait finir par lui causer des problèmes. Naelle se moquait toujours de son empressement à aller à table. C'est un problème de gens qui ont des muscles, lui répondait-il. Et elle souriait alors de toutes ses dents.

    Une goutte s'écrasa sur son poignet. Teintée de brun, elle lui renvoyait une image transformée d'un monde plus chaleureux. Camille fronça les sourcils. Sa couleur était en train de partir. Evidemment, il n'avait pas eu l'argent - et le temps - de s'en faire une permanente.

    Le tonnerre souligna sa découverte, alors que la pluie redoublait. Camille sentit un début de panique monter en lui. Il pensait avoir plus de temps, mais il avait appris à ne jamais sous-estimer la puissance de l'orage. Elle approchait, et il était loin d'être prêt. Il inspira alors qu'il traversait devant le bureau du shérif sous le regard du jeune homme blond de l'avis de recherche. Il savait être pragmatique, tout allait bien se passer. Et en premier lieu, il rabattit sa large capuche sur sa tête afin qu'un passant un peu trop attentif ne reconnaisse pas ses mèches dorées.

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