"Ver de terre amoureux d'une étoile"
- Victor Hugo, Ruy BlasUne République dictatrice qui régit chaque aspect de la vie de ses citoyens.
Des castes qui conditionnent les existences.
Une lettre pleine de regrets.
Un amour qui s'écrit avec des larmes.֍
Je me souviens de la première fois où je t'ai vue comme si c'était hier. C'était la rentrée des classes, à l'Académie Gamma, et je retrouvais mes amis. Toi, tu ne connaissais personne : tu étais nouvelle. Tu n'étais pas celle qui parlait le plus, qui bougeait beaucoup, qui rigolait fort. Un autre aurait pu te trouver invisible, mais pour moi, tu étais une lueur qui illuminait le monde entier. Je ne comprenais pas comment le reste des élèves faisait pour ne pas voir la flamme qui brillait dans tes yeux, la manière dont tu semblais danser à chacun de tes pas.
Je n'ai pas eu le courage d'aller te voir. Je n'ai jamais été très brave. Tu as vite constitué un autre groupe, et moi, je ne faisais que t'observer de loin. Je n'ai jamais été très bon scolairement, et le fait que je passe tous mes cours à te regarder n'a pas aidé. Je connais tout de toi, plus encore que tes amis. Je sais quels sont tes tics, à quoi ressemble ton écriture, comment tu es quand tu penses que personne ne te regarde. Bien sûr, certains se sont moqués de tes cheveux blonds : c'était la marque du diable, tu étais une sorcière, tu venais d'au-delà les frontières... Moi, je n'y croyais pas. Avec ta tignasse, tu ressemblais aux anges des livres pour enfants. Et puis qu'importait si cette couleur n'est pas naturelle ! Au milieu de ces crinières banales, bleues et vertes, tu apportais un peu d'exotisme.
Les années passaient, et la situation ne changeait pas. Tu étais toujours aussi rayonnante, et moi toujours aussi distant. Les instructeurs ont commencé à faire monter la pression par rapport à l'inéluctable Sélection. C'était évident, tu serais une flamboyante Étoile. Moi, en revanche, je ne savais pas ce que je serais. Je n'avais pas la vivacité d'esprit d'un Mémoire ennuyant, c'était sûr. Je n'étais pas particulièrement fort physiquement, mais je pouvais quand même être un Ver. C'est ce que je répétais à tous mes proches : je voulais être un Ver fort, servir la République d'Hiver à la guerre et devenir un héros. Mais ce que je ne disais pas, c'est que parmi les trois castes, celle qui m'attirait le plus, c'était de devenir un Étoile. Je n'étais pas particulièrement attiré par le monde du spectacle et du divertissement, mais je voulais continuer à te voir de loin.
Le jour de la Sélection, cette maudite Sélection, j'étais nerveux. Je savais que si je ne me révélais pas Étoile, je ne te verrais plus. Tu es passée en première, bien sûr. Tu étais la plus courageuse. Je me rappelle que tu nous disais que pour toi, la Sélection n'avait pas une grande importance. Tu entendais vivre ta vie comme tu le voulais, de toute façon. Tu étais un peu rebelle sur les bords, juste assez pour te permettre de raconter ça, mais pas assez pour attirer l'attention des instructeurs. Moi, je voulais te dire qu'on n'avait pas tous ta liberté, ton courage. Que pour certains, pour moi, la cruelle Sélection était d'une importance capitale. Parce que si je n'étais pas un Étoile, si je n'étais pas comme toi, alors nous serions séparés à jamais. Pas d'amitié entre les castes, nous répétaient les instructeurs, encore moins d'amour.
J'ai voulu tout te raconter ce jour-là, tu sais ? Tu étais si belle, encore plus rayonnante que d'habitude, et quand tu es partie dans la Pièce de transition, j'ai eu l'impression que toute la chaleur, toute la joie du monde partait avec toi. Je t'ai retenue par le bras, et c'était la première fois que je te touchais. Des milliers de petites aiguilles, et pourtant si agréables. Surpris, j'ai retiré ma main. Et tu es partie, poussée par la foule. Je savais que je venais de te perdre.
VOUS LISEZ
Antre aux nouvelles
ContoDans la bibliothèque d'Enami, la littérature courte est aussi à l'honneur. Découvrez dans cet antre des morceaux qui, s'ils sont brefs, n'en sont pas moins savoureux !