֍ Pour prendre sa place (3)

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Sang et Etang

    Camille ne se considérait pas comme un assassin, mais comme un guerrier. À chaque fois, Elle se moquait de son sens de l'honneur, trouvant qu'il se compliquait la tâche. Mais s'il se refusait à attaquer dans le dos, ce n'était pas pour préserver ce qu'il restait de son âme - il s'employait justement à la détruire. Il voulait simplement éviter l'ennui et provoquer des combats qui le maintenaient alerte. Et malgré tout ce qu'Elle disait, il savait qu'Elle comprenait. Elle ne l'avait jamais attaqué sans prévenir, d'ailleurs.

    Camille n'était pas un assassin, c'est la raison pour laquelle il posa simplement sa main sur l'épaule de l'homme. Il pourrait le laisser vivre, évidemment. Les gens comme lui n'étaient pas sa cible prioritaire. Mais Camille sentait que le cercle demandait du sang. La nuit devait commencer par un meurtre, cette fois-ci encore.

    Alors Camille intima à l'homme de prendre une lame, et se retint d'exploser lorsque celui-ci agrippa l'arme qu'il était en train de restaurer. Le couteau. Evidemment.

    Camille sourit. Était-ce un test ? Une épreuve, pour remporter le trésor ? Un moyen de s'assurer que ce serait lui qui viendrait chercher son dû, peut-être ? Peu importait. Ce n'était qu'un échauffement.

    Camille ne se battait pas, il dansait. Mais là, il ne dansa même pas. Il se contenta d'abattre sa main sur le poignet de l'homme terrorisé, doucement. Le couteau dessina une arabesque écarlate en passant dans la poitrine de l'armurier. Celui-ci n'eut même pas le temps de le réaliser que la seconde main de Camille le fit taire pour toujours. Camille ne ressentit rien. Cela faisait si longtemps que la mort le suivait qu'elle était devenue une amie. Ce n'était qu'une formalité pour lui. Un moyen de se rappeler le goût amer du sang avant cette nuit, la dernière de toutes.

    Il marqua en revanche un temps d'arrêt devant le couteau. La lumière sur la lame avait toujours le même éclat que deux ans auparavant. Lorsqu'en sortant de l'appartement, elle avait jailli de la poitrine de Naelle, en même temps que son dernier souffle. Lorsque Camille, interloqué, avait croisé le regard de la meurtrière. Lorsqu'Elle lui avait souri pour la première fois. Lorsqu'il avait rencontré le diable en personne, et qu'il avait fait son choix : celui de le remplacer.

    Pendant deux ans, il avait changé, il avait évolué, il avait grandi. Mais avec ce couteau dans les mains, il redevenait le même garçon qui avait décidé de se venger, en tenant sa fiancée moribonde dans les bras. Tant mieux, se dit-il. Cette nuit, il n'avait pas besoin du Camille qui avait parcouru le monde, du Camille fatigué qui voulait juste en finir. Il avait besoin de toute sa rage.

    La pluie qui battait aux fenêtres de la maison de l'armurier sortit Camille de sa transe. Elle le rappela à l'ordre. Il ne fallait pas faire attendre le cercle. Tout devait se terminer cette nuit. Camille hocha la tête. Tout terminer. Enfin.

    Camille savait où aller. Il avait tant l'habitude de La voir qu'il savait où est-ce qu'Elle l'attendrait. Il fallait que ce soit éloigné, bien sûr. Il fallait aussi que ce soit assez grand pour supporter leur affrontement. Et il fallait une signification.

    Il y a deux ans, Naelle voulait aller patiner. Cette nuit, c'était au tour de Camille.

    L'étang avait gelé. Si tôt dans l'année, c'était une première. C'était forcément Elle. Alors Camille l'attendait au milieu de l'étendue d'eau, bien droit sur ses patins. Elle, Elle n'était pas encore apparue. Elle était forcément déjà là, dans le vent qui jouait avec les pans du grand manteau, dans les nuages qui masquaient la lune froide. Mais Elle n'avait pas encore choisi de forme physique. Camille savait laquelle Elle prendrait, bien sûr. Laquelle Elle avait toujours pris devant lui.

    Le ballet des feuilles mortes s'intensifia. Camille ne voyait plus rien. Pris dans un tourbillon, il attendait patiemment. Jusqu'à ce que Sa silhouette se dessine.

    Cheveux d'or, visage poupin. Camille détestait cette apparence.

    Celle de Naelle.

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