Liz vit dans un hiver éternel, piégée dans sa bulle.
May apporte l'été partout où elle passe, brûlant les autres au passage.
Mais une rencontre suffit à repeindre les saisons.֍
Liz n'avait qu'une seule amie, Solitude. Parfois, il y avait aussi Tristesse quand elle sentait les sourires des autres qui s'amusaient ensemble, ou quand elle entendait leurs rires résonner dans l'air froid de l'hiver. Avec les premières neiges venait souvent Peur, au moment où l'ennui qui envahissait l'esprit des camarades de Liz et qui leur donnait envie de se défouler, sur quelqu'un sans défense de préférence.
De temps en temps, Honte pointait le bout de son nez. Pas quand Liz surprenait les regards dédaigneux des autres filles de son école, si belles et si fières. Non, ça, Liz s'en fichait un peu. Elle rentrait les épaules et partait se réfugier dans un coin en attendant que les filles trouvent une autre occupation et cessent de la dévisager.
Honte était plus sournoise que ça. Elle sortait de sa cachette lorsque les parents de Liz la voyaient revenir d'une journée de cours, son sac trempé, ses cahiers déchirés, ses bras maculés de traces de stylos. Sa mère appelait alors le directeur une nouvelle fois, et son père l'aidait encore et encore à retirer les lignes bleues et noires, arabesques sur sa peau pâle. Liz avait envie de lui dire qu'elle aimait bien ces marques, que c'était la preuve qu'elle n'était pas invisible et que ça n'était pas grave puisque ça ne faisait pas mal. Mais Honte chuchotait alors à son oreille, lui pointait les rides d'inquiétude autour des sourcils de son père et les soupirs de sa mère, et Liz se sentait un tel fardeau qu'elle retombait dans son mutisme.Ensuite, les vents changèrent doucement de direction sans que personne ne voit s'écarter le mauvais temps. Les bourgeons étaient apparus et l'air avait charrié une caresse chaude et épicée. La nature s'était réveillée, et la petite clairière bordant la maison de Liz avait croulé sous les couleurs, le pourpre se mêlant à l'azur du ciel sans nuages, le jaune se fondant dans le vert éclatant des tiges. C'était dans cette clairière que Liz entendit pour la première fois sa voix, alors qu'elle était assise au bord du ruisseau, les pieds battant dans l'onde chantante, seule avec Solitude. Les buissons avaient frémi et le silence environnant avait laissé place à ses mots.
Ces mots, Liz s'en rappellera toujours. Elle se souviendra jusqu'à sa mort de ses intonations, de la manière dont elle prononçait les voyelles, un peu trop longues, et les consonnes, un peu trop courtes. Oui, Liz ne pourra jamais oublier les mots qu'elle lui avait offerts. Cette vérité si absurde, venant d'une fille rousse comme le feu et souriante comme un soleil. "Dis, tu sais qu'on est tous fait de poussière d'étoiles ?".
Liz avait ri, alors. Elle avait ri, avant que Timidité ne puisse la bâillonner, avant de se demander ce que la fille faisait là. Elle avait ri, puis elle avait fait remarquer à la comète fauve à côté d'elle que c'était là une pensée bien poétique. L'inconnue s'était renfrognée, protestant que c'était un fait scientifique, que les atomes qui les constituaient résultaient d'une supernova, qu'il fallait le prendre au sérieux. Il n'y avait qu'elle pour trouver à la poésie une raison scientifique, paradoxe étonnant et pourtant si vrai. Liz l'avait dévisagée, et alors que la fille continuait sa diatribe, elle avait senti Solitude s'éloigner comme à regret. Liz n'avait étrangement eu aucune envie de la retenir, cette amie de toujours. Et c'était ainsi, dans cette petite clairière, après la fonte des neiges et avant le retour du soleil, que Liz fit la connaissance de May.May, elle, avait toujours eu beaucoup d'amis. Elle se voyait comme un aimant, attirant vers elle toutes les âmes perdues de son école en quête d'une personne à suivre, à admirer. May vivait une vie toujours ensoleillée, même en hiver. Surtout en hiver, à vrai dire, puisque ses amis en manque d'activités étaient plus partants encore pour faire les quatre cent coups avec elle.
Oui, May avait fait beaucoup de bêtises. Un jour, elle en fit une de trop. Peut-être avait-elle mal estimé les limites de la tolérance des adultes. Peut-être avait-elle envie de se faire prendre, justement, pour attirer l'attention, pour qu'enfin les adultes réalisent à quel point elle était différente. Mais au final, la punition ne se révéla pas du tout du goût de May. Et au lieu de lui apporter plus de prestige, cette bêtise de trop fut la raison pour laquelle on envoya May loin de chez elle, loin de sa cour et de ses amis, loin de sa famille elle-même, en pension à la campagne. Face à ce châtiment, ceux qu'elle avait cru ses amis, ceux qu'elle pensait connaître se détournèrent d'elle. Ce jour-là, May se sentit toute drôle, brûlante, tremblante. Plus tard, Liz lui apprendrait qu'elle avait fait la connaissance de Colère.
May pestait, grondait, tempêtait dans ces bois trop calmes par rapport à l'effervescence de chez elle lorsqu'elle la vit, assise au bord d'un ruisseau, sa peau pâle brillant au soleil soulignée d'une multitude de courbes bleu marine. May se voyait comme un aimant, et ce jour-là au bord de l'eau, elle trouva son pôle opposé, aussi différent qu'il était attirant.Quand Liz retourna à l'école le jour d'après, elle ne chemina pas avec sa bien-aimée Solitude. Elle ne laissa pas Tristesse l'envahir dans le bus, Peur l'étreindre devant les autres filles. Lorsque May arriva dans son nouvel établissement, elle ne se drapa pas dans l'indifférence. Elle ne fut pas froide, elle ne fut pas cruelle, elle ne fit pas de bêtise. Les élèves de l'école racontèrent leur surprise, la première fois qu'ils entendirent le rire de Liz. Les parents de May clamèrent leur incrédulité, lorsque le directeur loua la sagesse de leur fille. Ceux de Liz n'en crurent pas leur yeux, quand elle ramena pour la première fois une amie à la maison.
On ne pouvait plus les séparer. Liz et May, les deux aimants. Liz le pôle négatif, si sévère et dure à dérider. May le pôle positif, chaleureuse et bouillonnante. Liz le pôle positif, tenant Colère et Indifférence à distance. May le pôle négatif, hurlant sur Honte et insultant Peur. Toutes deux étaient si différentes et pourtant elles étaient une évidence.
May apprit Joie et Fierté à Liz. Liz apprit Douceur et Délicatesse à May. May vivait chez Liz, Liz vivait chez May. May était là lorsque les parents de Liz lui offrirent son premier appareil photo. Liz se trouvait derrière May lorsque celle-ci monta sur le podium des Championnats de France, encore trempée par l'eau chlorée de la piscine. May offrit à Liz son premier baiser, Liz tendit à May leur bouquet de mariage. Et le champ magnétique des deux aimantes éloigna à jamais Solitude, Tristesse, Peur, Colère et Indifférence.
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Antre aux nouvelles
Krótkie OpowiadaniaDans la bibliothèque d'Enami, la littérature courte est aussi à l'honneur. Découvrez dans cet antre des morceaux qui, s'ils sont brefs, n'en sont pas moins savoureux !