L'Empereur

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L'homme était, objectivement son père.

Boya le savait.

Pourtant, il n'en ressentait rien. Il n'en avait jamais rien ressentit. Même lorsqu'il était un tout petit garçon, encore trop jeune pour comprendre autre chose que sa mère était morte et que son père était l'Empereur, il ne s'en était pas vraiment soucié. Il avait toujours attendu "autre chose".

Lorsque JingYun était venu en Quête et que les Maître s'étaient présentés à l'Empereur, le petit garçon qui ne s'appelait pas Boya à l'époque mais juste "MingLi" avait échappé à la surveillance de ses nourrices et, du haut de ses six ans, avait coupé la parole de son père pour s'incliner devant les Prêtres.

"- Je vous attendais."

Le plus vieux des Maîtres avait juste hoché la tête dans rien dire et lui avait tendu la main. MingLi l'avait prise.

"- JingYun t'attends, Boya." Ça avait été son nom depuis ce jour-là et jamais l'enfant n'avait regardé en arrière.

Il était né de l'Empereur pour partir à JingYun et mourir devant le Serpent avant son trentième anniversaire. C'était son destin. C'était son rôle.
Un rôle qu'il n'avait jamais remis en question.

Il avait passé les années suivantes à apprendre tout ce que le temple avait à lui apprendre pour devenir un jour le Sacrifice attendu pour sauver l'Empire du Serpent.

Il n'en concevait aucune rancœur, aucune crainte.
C'était ainsi.

Il l'avait toujours su et acceptait son destin depuis avant même que les Maîtres ne lui disent ce qu'il serait.

Jamais, de toutes les chroniques de JingYun, jamais un seul Boya ne s'était rebellé contre son destin.

Lors de quelques changements de dynastie, lorsque certains avaient cru que ce qui ne pouvait être qu'une malédiction sur l'empire et la famille impériale était enfin devenue caduque, un petit garçon de sang impérial s'était toujours présenté à JingYun de lui-même pour devenir Boya.

Le nom était devenu indissociable du Sacrifice au point d'en être devenu un synonyme.

Toute la capitale connaissait la tenue de cuir noir du Boya.
Tout le monde savait quel était son rôle et son destin et lui était reconnaissant pour son sacrifice.

Mais Boya s'en fichait un peu. Il parlait peu, il apprenait ce qui lui serait nécessaire pour jouer son rôle, puis il s'éteignait dans une mare de son propre sang, le dos à la mer, pour que se déploie et se ferme la barrière qui contenait et permettait de détruire le Serpent.

Lorsque le Serpent n'était plus que cendre, il n'était même pas besoin de porter le Boya en terre. Il n'y avait jamais de corps à honorer.

Lorsque la fin venait, il s'embrasait et disparaissait dans un torrent de flammes qui ne laissait même pas quelques cendres à disperser au vent.

Du Boya, il ne restait jamais rien.

Puis, près de soixante-dix ans plus tard, un autre garçon venait au monde dans la famille impériale et rejoignait JingYun le jour de ses six ans.

L'actuel Boya avait vécu ce même début de vie comme tous les autres et savait qu'il ne vivrait pas pour voir deux hivers. Il était en paix avec la chose.

Suffisamment pour garder le regard clair devant son géniteur qui se tordait sur le sol comme un animal, à la grande horreur de ses conseillers et des serviteurs.

Boya avait avec lui deux Maîtres de JingYun. Ils avaient été spécifiquement appelés par le trône pour traiter la situation de l'Empereur sans que quiconque ne soit au courant.

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