Chapitre 8 : Le Printemps

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Boya soupira. Il n'avait échappé à l'engueulade de ses ainées que parce qu'il s'était caché sur le toit du Temple, il en était sûr. Il savait qu'il prendrait encore plus cher quand il redescendrait mais pour l'instant, il n'en avait cure.
Couché sur le dos, un bras derrière la tête, il caressait de sa main libre la gorge de A-Ming couché sur son torse. Il sentait le ronronnement du petit démon résonner dans son ventre et sa poitrine en quelque chose d'étrangement apaisant.

On était le printemps. L'équinoxe de printemps venait d'avoir lieu la veille au soir.

Il lui restait trois mois à vivre.

Au soir du solstice d'été qui marquait le jour le plus long de l'année et la renaissance de l'été, sa vie prendrait fin.

Il n'avait jamais eu vraiment peur. Il savait depuis sa naissance qu'il ne verrait pas son trentième anniversaire et connaissait avec précision la date, le comment et le pourquoi de sa mort.

Mais à présent, à quelques semaines de l'échéance, quelque chose au fond de lui se rebellait de cet état de fait.

Il n'avait aucune envie de mourir. C'était son devoir. Il ne trahirait pas ceux qui comptaient sur lui. Mais qu'on ne lui demande pas de mourir le sourire aux lèvres.

Alors lorsque ses frères et les shidi avaient commencés à préparer avec une certaine excitation ce qu'ils feraient pour les festivités du Solstice, au lendemain de sa mort, il avait demandé calmement si on pouvait ne pas le faire en sa présence.

La claque sur son épaule et le "Ça va ! Y a pas mort d'homme !" avaient été de trop.

Il avait écrasé son poing dans la figure de son frère avant de lâcher froidement.

"- Si, la mienne."

Puis il avait quitté dignement la salle commune plongée dans un silence malaisant pour venir se cacher là, sur le toit. Depuis, il papouillait le renard qui ne le quittait pas d'une semelle depuis son arrivée.

"- Je n'aurais pas dû le frapper"

"- Celui-là avait toutes les raisons de le faire. Celui-là n'est pas le paillasson de ses frères. Leur manque de délicatesse est choquant"

Boya eut un pauvre sourire. Il ne savait pas ce qu'il ferait sans A-Ming. Comment avaient fait ses prédécesseurs pour ne pas devenir fous dans les dernières semaines ?

"- Boya ?"

Le jeune homme soupira. Il délogea gentiment A-Ming de son estomac pour rouler sur le toit. En dessous de lui, son Shifu l'attendait. Le chasseur hésita une seconde puis sauta du toit.

"- Shifu."

"- J'ai eu une discussion avec le reste des shidi et des disciples. Tu ne seras pas punis pour ton geste. Mais tu es retiré du terrain jusqu'à... Tu es retiré du terrain. Prends du temps pour toi. Tu as besoin d'être au calme et de pouvoir... Bref." Le pauvre homme bafouillait maladroitement sans trop savoir comment expliquer à l'enfant qu'il avait consciencieusement élevé pour mourir qu'il pouvait utiliser les quelques semaines qui lui restaient pour faire ce qu'il voulait. "A-Ming, je compte sur celui-ci pour s'occuper de celui-là." Demanda respectueusement l'ancien chasseur en s'inclinant devant le renard démon.

A-Ming s'assit tranquillement, ses queues enroulées autour de ses pattes. Sa fourrure avait fini de repousser et ses queues étaient enfin aussi pelucheuse qu'elles n'auraient jamais dû cesser de l'être.

"- Celui-ci prendra toujours soin de son Boya." Assura le renard avec une détermination qui mit un instant le fashi mal à l'aise.

Puis le renard sauta sur l'épaule de son humain pour étrangler encore généreusement sa gorge avec ses queues comme il le faisait toujours. Le sourire tendre du jeune homme serra le cœur du vieux maître. Son élève allait lui manquer. Grandement.

SacrificesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant