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Tu préfères dormir avec moi dans mon lit ou sur un matelas à part ?

Razor haussa les épaules. L'un comme l'autre lui convenait ; il avait aussi bien l'habitude de dormir blotti contre les louveteaux que seul avec lui-même dans les bois sombres. Il avait toutefois une préférence pour le premier cas, mais ne voulait pas déranger le blond. Peut-être qu'il n'aimerait pas dormir collé-serré contre quelqu'un qu'il rencontrait à peine.

Dans ce cas, je te sors le matelas. Si tu changes d'avis au cours de la nuit, tu n'auras qu'à venir dans mon lit.

Le gris acquiesça, observant le plus petit s'affairer. Ses muscles détendus ne lui avaient jamais fait autant de bien, il se sentait serein, confortable, et surtout très fatigué. Depuis combien de temps ne s'était-il pas senti autant en sécurité ?

Voilà ! Tiens, installe-toi. Si tu as froid, n'hésite pas à te servir dans mon armoire, juste là. Il doit y avoir des couvertures supplémentaires sur l'étagère du haut.

Razor le remercia d'un mouvement de tête et s'allongea sur son lit de fortune, se glissant entre les couvertures. Il soupira d'aise et s'endormit dans la seconde où il ferma les yeux. Bennett rit silencieusement de sa capacité à s'endormir aussi rapidement et éteignit la lumière, se couchant dans son propre lit. Il se tourna sur le côté, observant le mi-loup endormi, la bouche légèrement entrouverte où un filet de bave menaçait de tomber. Il sourit, « Razor est vraiment trop mignon », pensa-t-il une seconde fois. Sa pensée le fit rougir, mais personne n'y vit rien. En même temps, ce n'était pas de sa faute si l'argenté avait une bouille d'enfant à faire craquer tout le monde et agissait de la manière la plus adorable possible. Bennett ne le méritait pas.

Son visage se referma. Non, Bennett ne le méritait pas. Il lui apporterait la malchance. Razor avait déjà vécu suffisamment de malheurs pour que Bennett ne lui en apporte des supplémentaires. S'il ne s'éloignait pas de lui, il allait lui arriver quelque chose, c'était certain. Mais, en même temps, il n'avait pas tellement envie qu'il s'en aille... Il se sentait tellement seul, parfois, il évitait les gens pour ne pas les encombrer de son fardeau. Mais c'était lui qui se retrouvait toujours à tout porter sur ses petites épaules. Et pour une fois que quelqu'un ne le lâchait pas comme une chaussette sale après avoir découvert sa malchance maudite, il fallait qu'il se séparent à nouveau, pour que l'un ne blesse pas l'autre... C'était tellement injuste que Bennett voudrait même tout laisser tomber. Et puis tant pis s'il arrivait malheur à Razor, il le suivait en connaissance de cause. Mais il n'était pas si égoïste. Et c'était parce que le blond tenait à lui qu'il fallait qu'ils s'éloignent. Il lui parlerait, demain, et lui dirait que ce n'était pas une bonne idée. Qu'il trouverait d'autres amis plus saints, plus fiables.

Razor changea de position, ramenant le blanc à la réalité. Il l'observa plus attentivement, découvrant les traits de son visage, les formes de ses joues, de ses lèvres, la courbe de ses yeux. Il voulait graver ce magnifique tableau dans sa mémoire pour ne jamais l'oublier. Il aurait été son meilleur ami ; un meilleur ami d'un jour, certes, mais un meilleur ami quand même. Quand on aime, on ne compte pas.

Puis Razor ouvrit les yeux, se sentant observé, et croisa le regard de son hôte, qui rougit de s'être fait prendre dans sa contemplation. Le gris haussa un sourcil, l'interrogeant du regard, et l'autre secoua la tête de manière insignifiante. Bien sûr, Razor n'avait pas été élevé chez les moutons, il n'était pas dupe. Le sentant troublé pour une raison qu'il ignorait, le demi-loup se leva et vint se coucher en face de Bennett, à son grand étonnement.

Bennett troublé ?

Le blond resta interdit avant d'acquiescer lentement, les yeux fuyants. L'autre ne détournait pas le regard, le fixant à l'en mettre mal à l'aise. On pourrait dire que Razor n'était pas encore au point sur certains comportements propres aux animaux qui, pour un humain, étaient plutôt gênants.

Quel problème ?

... Rien, c'est juste... hésita-t-il. C'est bête, ne t'inquiète pas.

L'autre ne répondit rien, fronçant les sourcils. Évidemment que Bennett mentait ; ce qui était bête, c'était de croire à ce genre de paroles tout en ayant un air aussi misérable et pathétique. Il ne comprenait pas vraiment pourquoi Bennett ne lui disait pas la vérité. Les amis n'étaient-ils pas censés tout se dire ? C'était pourtant quelque chose que Professeur Lisa lui répétait sans cesse.

Le blond se contenta de l'observer un peu plus, une vague de tristesse nostalgique le prenant. Il allait lui manquer. « C'est fou comme je m'attache vite », se dit-il amèrement, alertant Razor qui sentit l'amas d'émotions négatives et peinées qui le prirent par vague immense. Ne sachant pas quoi faire pour le calmer et le rassurer, il le prit dans ses bras, comme il avait l'habitude de faire lorsque l'un des louveteaux avait peur de la pluie qui battait les rochers ou de l'orage qui grondait. C'était différent, parce que Bennett n'était pas un louveteau, mais pas non plus désagréable.

Bennett pas être triste. Razor là.

L'aventurier renifla, tentant de refouler les larmes qui lui montaient aux yeux, sans succès. À quand remontait la dernière fois que quelqu'un lui avait fait un tel câlin ? À quand remontait la dernière fois où il s'était senti aussi malchanceux ? Où il s'était demandé ce que Barbatos pouvait bien avoir contre lui à la fin ? Ne pouvait-il pas simplement avoir des amis, comme tout le monde ? Surpasser cette foutue malédiction et vivre une vie banale, normale ? Sans rentrer avec une côte cassée, un bras fracturé et des bleus sur toutes les jambes ? Sans craindre la foudre en sortant sous la pluie, sans craindre une attaque toutes les nuits et une catastrophe toutes les journées ? Ne pouvait-il pas rentrer fatigué du travail, soupirer devant le tas de vaisselle à faire et retrouver son âme sœur, assise tranquillement dans le canapé, à lui sourire gentiment ?

Est-ce que c'était trop demander de vivre au lieu de survivre ?

Si c'était pour finir seul pour le restant de ses jours, ne valait-il pas mieux abandonner ? Laisser tomber ?

Il éclata en sanglots.

Le cœur de Razor se brisa sous la violence des bribes de pensées de son ami qu'il parvenait à deviner. La première impression qu'il avait eu de ce garçon, c'était qu'il débordait d'énergie à revendre, qu'il rayonnait tant et si bien qu'il concurrençait le soleil et qu'il pouvait sourire en n'importe quelle circonstance. Il se rendait compte à présent de combien il avait eu tort, de combien son ami semblait souffrir, de combien il se sentait seul, abandonné, trahi par le monde. « Plus jamais », se dit-il, et si Bennett ne voulait plus de lui, il n'en aurait que faire et le suivrait dans l'ombre.

Acceptation [Rannett]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant