Prologue

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Dans un sursaut, mon corps s'arrache au cauchemar qui me paniquait. Fébrile et transpirante, je lance mon bras au travers des draps jusqu'à heurter un corps chaud. Ma respiration se calme et je me blottis dans la molle étreinte qui se desserre inconsciemment pour moi.

Aux creux de ses bras, toutes mes peurs s'effacent et plus rien ne peut m'atteindre. Je me sens en sécurité et laisse le sommeil me reprendre.

Cette fois quand mes yeux s'ouvrent, il fait jour et des iris couleur océan me fixent avec intensité.

Comme à chaque réveil, mes doigts glissent jusqu'au visage pâle criblé de taches de rousseur qui fait face au mien. Ils caressent le collier de courte barbe aux reflets roux puis l'un d'eux remonte sur son sourcil droit, celui fendu d'une longue et fine cicatrice partant de son front jusqu'au creux de sa paupière.

Mon pouce se met à le caresser en plusieurs va-et-vient, telle une enfant le ferait avec son doudou. Un tendre sourire apparaît sur son visage et m'oblige à l'imiter en retour.

Lui, c'est Tayric. L'amour de ma vie.

Cela fait dix ans que nous vivons ensemble, pourtant j'ai la sensation que c'était hier à peine que nous prenions la fuite sous la pluie, lui un adolescent de dix-sept ans et moi une fillette de douze, tous deux complètement terrifiés.

Cette cicatrice lui vient d'ailleurs de cette terrible nuit. Elle ne marque pas seulement son visage, elle marque aussi le commencement de notre nouvelle vie, voilà pourquoi j'aime tant cette longue ligne et la touche dès que je le peux. Elle est comme mon totem, une ancre dans la réalité. Elle me rappelle chaque jour que rien ne pourrait être plus mauvais qu'autrefois.

Devant ma mine pensive, la sienne se fait faussement blasée.

– Mmmmh... Je sens que tu vas être chiante aujourd'hui.

– Pas plus que les autres jours.

– Les autres jours, c'est déjà beaucoup trop.

Un ricanement m'échappe. C'est vrai que sous mes airs de frêle petite blonde se dissimule un affreux caractère recouvert d'écailles. Une hideuse carapace que j'assume totalement car c'est elle qui m'a permis de survivre jusqu'ici.

La jambe de Tayric passe par-dessus moi en une tentative désespérée de me signifier d'arrêter de le gonfler et de me rendormir sauf que c'est peine perdue, je me sens pleine de vie ce matin, je gigote et triture son sourcil. Il capitule et sort le premier du clic-clac, dépliant difficilement son mètre quatre-vingt-dix au milieu de ce minuscule taudis qui nous sert de studio.

Pendant qu'il se fait couler un café, je pioche dans le coffre – un de ses vêtements car je ne m'habille qu'avec ses affaires. Depuis mes douze ans, les pulls à capuche trois fois trop grands pour moi m'ont toujours permis de me fondre dans la masse et de ne jamais trop attirer l'attention sur moi, c'est encore le cas adulte.

– Il va te payer, Miguel, aujourd'hui ? je lui demande en ouvrant le mini-frigo que je sais pourtant vide.

Son visage devient grave. Je déteste quand ça se produit, lui qui est d'habitude si solaire. Je m'en veux déjà d'avoir prononcé ces mots.

– T'en fais pas, me dit-il en m'offrant son éternel sourire bienveillant. J'aurai du fric ce soir, on fera des courses.

Il récupère les deux dernières tranches de pain de mie du placard et me les colle dans les mains. Je tente de protester mais sa bouche se plaque à la mienne en un doux baiser.

– Tu la boucles et tu vas à la fac, sourit-il contre mes lèvres.

Vaincue, je termine de récupérer mes affaires pendant qu'il se roule une cigarette, appuyé au comptoir de l'espace cuisine. Du coin de l'œil, je le contemple encore sans jamais m'en lasser.

Le Loup BlancOù les histoires vivent. Découvrez maintenant