Ce matin du vendredi 2 février, la région Parisienne s'éveilla. Le ciel, comme d'habitude, collait au sol. La journée s'annonçait maussade. La perspective des deux jours de repos, sous un froid glacial, n'augmentait pas l'optimisme des Parisiens matinaux qui le dos courbé, s'acheminaient vers le métro Duroc. Maurin était de ceux-là. Il habitait 3 rue Rosa Bonheur. Une petite rue dans un grand quartier chargé d'histoire. Non loin de là, se trouvait l'Hôtel des Invalides qui abritait le tombeau de Napoléon ; les drapeaux de tous ses régiments entouraient, dans un dernier défilé, le mausolée de marbre. L'Ecole militaire apportait une conclusion à l'espace remarquable qui débutait par l'accent circonflexe du palais de Chaillot, ponctué d'admirable manière par la tour Eiffel. Mais Maurin, en français moyen qu'il était, par habitude, négligeait ces monuments chargés d'histoire. Sa curiosité se limitait aux exercices comptables qu'il s'obstinait à faire, depuis de nombreuses années, dans une entreprise familiale de prêt-à-porter. Le siège social, l'atelier et la boutique se trouvaient rue de Turenne. Ainsi, chaque matin, comme des millions de petits franciliens, Maurin s'engouffra à 8 heures 12 précises dans la bouche du métro.
Depuis vingt-cinq ans déjà, il accomplissait le même rite. Il se plaça, comme d'habitude, au milieu du quai, à la limite présumée des voitures de première classe. Il savait, depuis longtemps déjà, que cette situation privilégiée lui facilitait la correspondance à la station Invalides. Un nouveau changement à Concorde et, cette fois, le métro l'amenait directement à Saint-Paul, son terminus. De là, il gagnait à pied son bureau. Avec une même inconscience, Maurin continuait à ignorer le quartier qu'il traversait. Pourtant, il passait près des hôtels Sully, Lamoignon et de la superbe place des Vosges. Si d'aventure, un passant lui avait demandé des renseignements sur ces monuments prestigieux, il aurait hésité à les classer à deux ou trois étoiles et ignorait si le restaurant était de bonne réputation. Les échos du Festival du Marais n'avaient jamais éveillé sa curiosité.
Était-ce une coïncidence mais en attendant patiemment l'arrivée de la rame, il ne se doutait pas qu'un évènement brutal allait interrompre une carrière exemplaire de routine. Un peu de fantaisie aurait égaillé une vie qui s'acheva à l'instant où les voitures pénétrèrent le long du quai.
Le convoi s'immobilisa dans le bruit grinçant des freins. C'est cet instant que Maurin pour s'effondrer sur le trottoir, sans un bruit, sans un cri, discrètement pour ne pas gêner ses voisins. Cependant, sa chute ne laissa pas insensible trois passagers qui se précipitèrent pour lui porter secours. Pendant ce temps, les autres voyageurs, indifférents à la scène, s'empilèrent dans les voitures, serrés comme des sardines dans une boîte sans huile et sans oxygène.
Les trois témoins, agenouillés près du corps, s'efforcèrent de pratiquer les gestes qui sauvent. L'un d'entre eux mis un doigt sur le cou de Maurin pour s'assurer que la vie continuait de s'écouler. Il dût se rendre à l'évidence : le cœur ne battait plus.
Soudain, alors que le convoi quittait la station dans son fracas caractéristique, un des témoins aperçut sous la tête du malheureux une auréole rouge qui s'élargissait doucement sur le bitume. Du sang... sans aucun doute... Les trois hommes étaient très pâles. D'un seul mouvement, conscient cette fois de l'inutilité de leurs efforts, ils se relevèrent. Sur le quai déserté un instant, de nouveaux voyageurs affluaient.
Les secouristes d'occasion, abasourdis de ce qui leur arrivait ce matin et retrouvant leur esprit, se rappelèrent qu'il existait un signal d'alarme sur le quai. Il était loin le temps où un chef de station cohabitait avec ses clients. Il avait disparu suivant de peu le populaire poinçonneur des Lilas. Monsieur Ricinaut, ouvrier métallurgiste, se précipita vers l'interphone. Il appuya sur le bouton rouge ; quelques secondes plus tard, qui lui parurent une éternité, le haut-parleur grésilla et une voix venue de nulle part s'enquit.
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Quai des Obsèques
Mystery / ThrillerCe livre est une histoire écrite par mon père pour présenter le concours du Quai des Orfèvres 1990, pour lequel il avait terminé parmi les 5 finalistes. Il est décédé le 27 mai dernier à l'âge de 86 ans. je lui rends hommage en vous faisant partager...