Le métro Couronnes a comme seule particularité d'être à mi-distance entre la place du colonel Fabien et le cimetière du Père Lachaise. Deux hauts lieux du paradoxe : la place du colonel Fabien est hantée par les fantômes des grands noms du communisme. Dans les amphithéâtres résonnent les échos des luttes pour la délivrance des ouvriers taillables et corvéables à merci, comme les antiques serfs du Moyen-Age. Les orateurs se succèdent à la tribune pour appeler à grands mots la défaite du capitalisme. De là germent les grandes manifestations populaires qui dans un marathon olympien accomplissent invariablement le parcours République-Bastille. Bastille de tous les symboles : révolution, droits de l'homme, aux pieds d'un génie qui depuis des années se tient en équilibre sur une jambe. Mais personne n'a encore pensé lui conseiller de changer de membre, ça le reposerait un peu.
Paradoxe à distance, le Père Lachaise, lui aussi est hanté par des hôtes prestigieux. Les amoureux évoqueront Héloïse et Abélard, sans souhaiter connaître le même sort. Les musiciens se recueilleront devant les tombes de Chopin, de Bizet ou le cénotaphe de Rossini. Les poètes ont le choix entre Apollinaire, Alphonse Daudet, La Fontaine et Musset. Les amateurs de théâtre vénèreront Sarah Bernard. Les voyantes en panne de fluide apportent leur bouquet sur le caveau d'Allan Karadec, le fondateur de la philosophie spirite. Les militaires se mettront au garde-à-vous devant les dépouilles des maréchaux Davout, Masséna et Lefebvre. Les urbanistes auront une pensée émue pour le baron Haussmann. Les cinéphiles rendront grâce à Méliès sans qui le cinéma n'existerait pas. Les politiques, les scientifiques, les romanciers ne sont pas oubliés au Père Lachaise, avec Thorez, Gay Lussac, Claude Bernard et Oscar Wilde. La chanson est aussi présente avec Edith Piaf. Une promenade au sein du cimetière est un véritable pèlerinage historique où chaque tombe rappelle au visiteur tout un passé oublié. Mais cette promenade, si instructive, se serait, ce vendredi, bien accommodée d'un rayon de soleil qui aurait ôté au paysage son air trop funèbre.
Mais le temps défile vite et l'histoire ne fait pas bon ménage avec l'actualité. En ce vendredi 27 février, la foule qui habituellement se pressait au cimetière du Père Lachaise avait déserté les lieux. Les hommes ou femmes célèbres pouvaient reposer en paix. Seules, quelques voyantes à court d'énergie, venaient regonfler leurs accumulateurs de prévisions. Il est vrai qu'en cette période d'austérité, un bon gain au loto mettrait un peu de beurre dans les épinards des français désargentés et crédules. Les marchandes de rêves avaient encore de beaux jours devant elles. Pellerin aimait parfois longer le cimetière qui, en cet endroit, s'agrémente d'un square où les amoureux, l'été, sans se soucie de l'environnement, venaient échanger de tendres baisers. Mais Pellerin, marié, deux enfants, inspecteur des ventes d'un constructeur automobile français, avait d'autres idées têtes. Il pensait déjà à l'augmentation du chiffre d'affaires issue du modèle vedette de la marque. Pourtant, il ne savait pas et ne saurait jamais si ce lancement continuerait sur la voie du succès. Il s'effondrera dans dix minutes, sur le quai du métro Couronnes, la tête transpercée par une balle de 22 long rifle.
C'est sur ce quai que les inspecteurs Piédot et Bourdel, du commissariat du XVIIIème arrondissement, le retrouvèrent sans vie. Bourdel se chargea de prévenir la veuve ; une corvée dont il se serait bien passé. Après avoir subi la crise de désespoir de cette jeune femme frappée en plein bonheur par un drame aussi affreux.
- Mais pourquoi, pourquoi l'a-t-on tué ? On l'a bien tué, dites ?
Bourdel ne savait que répondre.
- Mais pourquoi ? Pourquoi ? Que vais-je dire aux enfants ?
Bourdel n'avait toujours pas de suggestion à faire.
- Michel, Michel, pourquoi m'as-tu quitté ?
Bourdel se hasarda :
- Voulez-vous que j'appelle une voisine, un parent pour vous aider dans ce moment dramatique ?
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Quai des Obsèques
Mystery / ThrillerCe livre est une histoire écrite par mon père pour présenter le concours du Quai des Orfèvres 1990, pour lequel il avait terminé parmi les 5 finalistes. Il est décédé le 27 mai dernier à l'âge de 86 ans. je lui rends hommage en vous faisant partager...