« Si l'esprit peut cacher ses sentiments, le corps dissimule très mal ses émotions. »
Yannick Grannec
— Alexandre ! s'exclama le vieillard.
Le caporal sortit de ses pensées, adressant un large sourire à son ami.
— Paul, le salua-t-il.
— Je suis tellement heureux d'avoir ta visite !
Ils se serrèrent la main amicalement, le souvenir de leur dernière étreinte les dissuadant de se prendre dans les bras. Le vieil homme, vêtu de son habituelle robe de chambre, examina un court instant Alexandre ; il semblait plus reposé, plus apaisé.
— Tu m'as l'air en forme, remarqua le vieillard.
— Et pourtant... Je me suis couché très tard, hier soir.
L'homme l'interrogea du regard, fronçant ses épais sourcils fournis.
— Romain nous a invités pour le week-end, je viens de rentrer à l'appartement.
— Oh, je vois. Je suis content pour toi, mon grand, tu mérites ces belles amitiés.
Alexandre sourit bêtement quelques secondes, repensant au week-end qu'il venait de passer. Repensant à elle. Son visage gracieux se dessinait dans son esprit délicatement. Imany était une des plus belles femmes qu'il n'avait jamais vues.
— Quelque chose me dit que tu n'es pas pétillant uniquement grâce à ce week-end... Je me trompe ?
Le caporal écarquilla les yeux, jetant un regard surpris vers son ami. Il sentit ses joues rougir, ce à quoi il n'avait pas vraiment l'habitude.
— J'ai vécu, mon ami.
Alexandre rit vivement. Décidément, Paul avait vraiment un don pour lire en lui. S'il était si pétillant, c'était parce qu'il était impatient de la revoir. Ce jeu de regard le laissait à la fois plein de questionnements, et plein de désirs. Des années, qu'il ne s'était pas senti vivre autant, que la douce émotion du désir ne l'avait pas brûlé intérieurement. Il sentait d'étrange sensation dans son bas ventre, avait cette impression de flotter sur un nuage d'une douceur infinie. Ce nuage, il aurait voulu y rester des années.
— Il y a cette fille, Imany... lâcha finalement Alexandre après un court instant d'hésitation.
Paul dessina un large sourire sur son visage ridé.
— Elle t'obsède, et tu ne peux pas t'empêcher de penser à elle avec un sourire bête ?
Alexandre haussa les épaules, poussant un soupir. Lui-même ne comprenait pas vraiment la nature de ce qu'il se passait entre eux. Ce désir, qu'il avait ressenti, était-il partagé ? Méritait-il le bonheur ? Pouvait-il oublier la guerre si vite ? Il frissonna.
— Tu te prives de la vie, remarqua Paul. Tu es ta propre limite.
Le caporal fronça les sourcils, questionnant son ami du regard.
— Je commence à bien te connaître. Dès que tu touches au bonheur, tu le fuis. Tu te renfermes dans une coquille sombre et douloureuse, et tu ressasses tes cauchemars inlassablement.
Il marqua une pause, tandis que la gorge d'Alexandre se nouait péniblement.
— Nous avons tous fait des choses horribles dans nos vies, reprit le vieil homme. Alors ne te laisse pas ronger par les souvenirs, et rattrape le temps perdu. Ne reste pas bloqué là-bas, Alexandre. Reviens.
Son cœur battait rapidement. Il se mordit la lèvre inférieure nerveusement, sentant ses mains trembler faiblement. Dans son esprit, les déserts défilaient, le sang coulait et le regard de la fillette dessinèrent un tableau désagréable. Une larme perla le long de sa joue brûlante, le faisant frissonner.
— Tu es rentré, mon garçon. Tu n'es plus là-bas, ici, tu peux vivre.
Paul tapota l'épaule du brun amicalement, tentant de le réconforter tant bien que mal. Il se montrait dur avec lui, mais il le fallait. Pour qu'Alexandre comprenne, il lui fallait une grosse claque. Pour qu'il se réveille, cette douleur était nécessaire.
— Ne te prive pas du bonheur, chuchota Paul. Ce serait dommage.
— Je sais, parvint-il à dire.
— Alors pourquoi tu ne le fais pas ? l'affronta son ami. Pourquoi tu ne vis pas ?
Alexandre hésita un instant, silencieux.
— Je le fais, à mon rythme.
— Sornettes ! Pourquoi sembles-tu si malheureux et pétillant à la fois dans ce cas ?
Le caporal grimaça, ne répondant pas à l'homme en face de lui.
— La guerre aurait, au contraire, dû te faire réaliser combien la vie est fragile. Combien elle mérite d'être vécue à fond, sans se poser des questions.
— Et si c'était trop tôt ?
Paul lui tapota l'épaule amicalement, lui adressa un nouveau sourire.
— Y a-t-il un bon et un mauvais moment pour le bonheur ?
Alexandre grimaça. Il savait où Paul voulait en venir, et il redoutait sa réponse. Depuis son retour en France, le caporal s'était laissé aller. Il n'avait pas vraiment pris le temps de s'écouter, de se poser avec lui-même, de laisser son cœur lui chuchoter toutes sortes de paroles qui donnent envie de sauter dans le vide pour quelqu'un. Non, il s'était fait des amis, mais se privait de toutes émotions.
— Ici, tu n'es pas obligé de faire taire tes sentiments. Tu n'as pas à craindre de t'attacher, tu n'as pas à redouter l'amour, l'amitié ni la haine. Ici, tu peux être toi-même, et vivre... reprit le vieil homme.
Alexandre restait muet, les yeux rivés sur ses jambes marquées par la vie.
— Ça fait des mois que tu es rentré, dit Paul. Lâche un peu la pression, mon grand.
Alexandre sentit son cœur battre rapidement, prêt à percer sa poitrine. Ses mains étaient moites, et tout son cœur semblait trembler sous le stress.
— Comment comprendre ces émotions si étrangères ? Comment savoir ce que je ressens même ? Toutes ces choses... Ça faisait des années...
Sa voix flancha. Il se racla la gorge nerveusement, sous le regard tendre que lui lançait le vieil homme.
— Comment veux-tu comprendre quelque chose sans y goûter ? Laisse-toi aller, écoute ce que ces émotions te murmurent, et tu verras bien ! Tu as toute la vie devant toi, ne la gâche pas à réfléchir.
Cette phrase resta ancrée dans les pensées d'Alexandre pendant des heures, et le laissèrent à toutes sortes de scénarios possibles sous la lueur de la lune. Pour comprendre le langage du cœur, il fallait l'écouter.
-ˋˏ Merci d'avoir lu ce chapitre ! ˎˊ-
Hello ! ☀️
Ce Paul, quel sage ! J'adore ce personnage...Alors, êtes-vous d'accord avec Paul ? 😏
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Imany
Fiksi UmumLa vie laisse des traces ; elle brise les cœurs, éteint les âmes et meurtrit les corps. Alexandre Duval a vingt-quatre ans lorsqu'il marche sur un Engin Explosif Improvisé lors d'une mission au Mali. Grièvement blessé, le jeune caporal est plongé da...