Chapitre 6 - Au détour d'une fontaine

19 1 0
                                    

Cela fait deux jours que le corps expéditionnaire du Sanctum - ou ce qu'il en reste, envoyé en renfort à la forteresse de Kysis, dans les Abysses, est revenu à la capitale.

Deux jours pendant lesquels Hiraeon a passé très peu de temps dans son petit logement mis à disposition par la caserne du Sanctum à laquelle il est encore affecté.

Oh oui, il aurait très bien pu rester là à contempler la ville pour réfléchir mais ses vieux démons semblent l'avoir rattrapé. Alors il a fait comme à son arrivée ici : passer son temps libre à traîner avec Harahel pour boire, pour embrumer son esprit torturé, pour oublier toutes ces choses qui le tracassent au fond d'un liquide ambré qui lui fait tourner la tête...

Sa première expérience dans les Abysses fut aussi brève qu'intense et il a préféré enfouir tout cela dans l'alcool, puisqu'il ne désirait pas faire face à toutes ces images et questions qui lui viennent sans cesse, mais... Avec le recul, maintenant qu'il est seul dans cette chambre peu confortable, il commence à cogiter.

Des visages lui reviennent, tout comme des sons.

Il mesure maintenant comme le monde est simple quand l'on n'est jamais sorti de chez soi et que sa tête est remplie de récits héroïques romancés. Est-ce une conclusion idiote, de prendre conscience que tout est plus complexe qu'il ne le croyait ? N'est-ce pas bête de s'en apercevoir seulement maintenant ?

Souvent, il pense à Poeta. La ferme de son père, la vie paisible qu'il menait autour du lac de Cliona entouré d'une nature luxuriante et chaleureuse. Il réfléchit à ces vingt et quelques années qu'il a passé là-bas et dont il ne se souvient absolument pas.

Souvent, le gladiateur a une sensation très étrange et difficilement explicable : lorsqu'il croise son reflet dans un miroir, il voit un inconnu.

Il n'y en avait pas, à Poéta, chez son père.

Mais ici, dans la ville où le paraître fait la loi, où son propre reflet importe plus que tout le reste, lui se sent entouré d'objets de torture ayant pour but de lui rappeler sans cesse que cet accident lui a arraché toute sa vie.

Il s'est observé, longuement, à la recherche d'un souvenir, même fugace, de visages familiers autres que celui de son père.

A-t-il seulement hérité son apparence de sa mère ?

Il ne se souvient pas à quoi elle ressemble et, si s'accrocher au fantasme qu'il doit beaucoup lui ressembler est rassurant, cela le fait souffrir.

Aucune image de son visage, même floue, n'a survécu dans sa mémoire.

Comment était-elle ?

Qui était-elle ?

Son père ne lui a jamais parlé d'elle...

Pourquoi ne l'a-t-il jamais décrite ?

Il ne lui a jamais vraiment parlé de son enfance non plus...

Était-ce un sujet trop douloureux ?

Étaient-ils heureux en ce temps là ?

Tout ceci devait être terriblement douloureux à remémorer...

Le jeune homme soupire en s'appuyant sur la rambarde du balcon qui donne sur quelques jardins, lesquels laissent échapper un parfum enivrant qu'il ne saurait reconnaître avec sa piètre connaissance des fleurs. Sans doute a-t-il été un jour une véritable encyclopédie vivante de toutes ces jolies choses qui poussent mais son accident lui a fait oublier tout cela.

Alors il laisse tomber sa tête en avant puis ferme les yeux sous le poids de tous ces états de fait qui l'affublent de cette expression triste.

Toutes ces questions n'auront jamais de réponse.

Aion & la Tour de l'Eternité - Tome 1 : Entre deux mondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant