Chapitre 1 : Un cadeau pour le moins surprenant

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Je passe les grilles en ferraille rouge de mon école primaire, et je me sens immédiatement libre. D'abord, parce qu'aujourd'hui est mon anniversaire, et que lors de mon anniversaire, ma belle-famille me laisse plus ou moins tranquille. Ensuite, parce que nous sommes un jeudi, et chaque jeudi soir, j'ai la permission de traînasser à la bibliothèque municipale jusqu'à 18h tapante, heure à laquelle je dois me précipiter pour rentrer à la maison.

J'adore l'atmosphère de la librairie. D'abord, il y a l'odeur des livres, dont j'aime m'imprégner. Le calme ensuite qui y règne ; on entend à peine les chuchotements discrets ou les pas de loups des lecteurs, venus se réfugier du chaos extérieur. Et il y a le rangement des livres ; tout est ordonné, rangé, classé avec logique. Rien ne dépasse et dans ce lieu, il n'est pas question de poussières, de cris et de désordre. Il y fait toujours bon ; en été, il ne fait pas trop chaud, et en hiver, il ne fait pas trop froid.

Et surtout, il y a Mlle Candide. J'adore Mlle Candide. Elle me rappelle ma mère - même si jamais je n'oserais le lui dire.

"Lully, joyeux anniversaire ! J'espère que ça ta plaira !" s'écrit Mlle Candide, tout excitée de me voir passer les lourdes portes en bois.

Mlle Candide est la libraire de la ville. Elle est à l'image, j'imagine, de toutes les autres libraires - un chignon droit, des lunettes papillon aux bords épais et de couleur rose, un sourire étincelant, un cardigan rouge et une tasse à thé dans la main gauche, une robe pin-up rouge à poids vert, des escarpins noir de la même époque que la robe, oui, elle ressemble en tout point aux bibliothécaires grisonnantes mais adorables des films, à l'exception que Mlle Candide est jeune et jolie. 

Elle me tend avec un large sourire - et avec impatience - un joli livre relié, d'une large épaisseur. Sur la couverture, je suis capable de déchiffrer l'écriture calligraphiée, qui nous informe avec élégance qu'il s'agit là d'un "Recueil de contes". J'esquisse un sourire, heureuse que Mlle Candide se soit assez souvenu de mon anniversaire pour m'offrir un cadeau, contrairement à mon père et à Rosaline.

Je saisit le livre ; le regard de Mlle Candide change quelques secondes à peine, avant de revenir à la normale - si vite que je ne parviens pas à interpréter son changement. Elle me sourit, et disparaît dans l'arrière-boutique, avant de revenir quelques secondes plus tard, un gâteau à la main. Avec maladresse, la personne qui a fait le gâteau a simplement écrit : "9 ans !".

Timidement, je remercie Mlle Candide.

"Ne t'inquiète pas pour ça, Lully. C'est tout-à-fait normal, chuchote-t-elle avec douceur. Mais que vois-je ? Une grimace de tristesse ? N'es-tu pas excitée de grandir, Lully ?

- Pas vraiment, Mlle Candide. Plus je grandis, plus je me rapproche de l'âge fatidique où je serais devenu un adulte... soupire-je.

- Oh, mais être une adulte, ce n'est pas si mal que ça, tu sais ? tente de me rassurer Mlle Candide.

- Je m'en doute, Mlle Candide, je m'en doute. Mais j'aurais aimé retrouver ma mère avant d'en devenir une..."

Mlle Candide sent la tristesse dans ma voix, et semble hésiter. Elle se mords les lèvres - comme ma mère faisait. Je comprends qu'elle ne sait pas quoi faire ou quoi me répondre. Mais après un petit laps de temps, elle découpe une large part de gâteau - plus que ce que je devrais en manger, et avec gentillesse, me répond :

"Ecoute, Lully. Je sais que ta mère te manque. Mais tu la retrouveras un jour, ne t'inquiète pas ! Elle n'a pas disparu à tout jamais - ça, ce n'est possible que dans les contes. Maintenant, il faudrait que tu manges ta part et que retournes ensuite chez toi, ou Rosaline va m'écorcher."

Perdue dans les contesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant